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2ème vague d’experts pour nos trompeuses convictions professionnelles

Par Patrick PISSIS, Stéphane SIMON, Jérôme WEINMAN le 21-01-2020   

Réponse n°4

PissisPatrick PISSIS
DU Qualité Santé
Société Française de Dentisterie Esthétique
Inventeur de la Technique Monoblok (“endo couronne”)
Nombreuses publications : inlays, facettes, esthétique, Invisalign
Chirurgien-dentiste à Paris

Voici mes réflexions inspirées par la lecture de la publication de Michel Abbou et par les réactions parfois virulentes de certains confrères.

Sans entrer justement dans une polémique, il m’avait semblé que le but annoncé de cette publication était de partager des points de vue et de pouvoir argumenter au fruit de sa propre expérience. On ne peut “bien parler” que de ce que l’on pratique régulièrement.

3 thèmes m’ont interpellé :

1. Le sujet des implants courts et du rapport couronne clinique/racine artificielle. De nombreux auteurs ont adopté  ce mode de pensée.  On a souvent remarqué lors du rattrapage de certains implants qui paraissaient perdus que, après assainissement, une faible hauteur d’ancrage osseux démontrait une longévité étonnante malgré un rapport traditionnellement réputé très défavorable.

2. La réunion prothétique d’un implant et d’une dent naturelle. Pour ma part, j’ai toujours évité cet assemblage, mais j’ai des exemples de longévité au-delà de 15 ans de bridges dento-implanto portés. Le service rendu au patient est évident quand aucune autre meilleure solution n’est envisageable. La logique voudrait que l’implant soit plutôt en pilier distal et la dent naturelle en pilier mésial, mais chez certains patients d’autres exemples d’assemblages prothétiques trouvent une grande pérennité.

3. Le rapport aux circonstances. Chaque patient accepte, impose et dispose de circonstances de travail différentes en fonction de son acceptation de la durée des travaux à exécuter dans sa bouche, de ses disponibilités, de son éloignement, de ses capacités financières… Il me semble que si nous sommes détenteurs d’un savoir technique, c’est aussi pour s’adapter à chaque situation. Cela peut parfois nous amener à faire des compromis thérapeutiques mais en évitant autant que possible de créer des pertes de chances pour l’avenir de nos patients.

J’ai au fil des années développé la conviction qu’en toute situation il semble bien que le patient soit aussi important que la technique retenue. Notre difficulté réside souvent dans la bonne compréhension de nos patients et dans l’adaptation de notre “service” aux mieux de leurs intérêts. Le corollaire me semble résider dans le choix conjoint d’une technique entre un patient soigneusement informé du bénéfice/risque et un praticien qui saura prendre en charge le “SAV”, c’est-à-dire adapter la reprise du travail en cas de “péremption précoce” dans des conditions les moins pénalisantes physiquement et financièrement pour le patient.


Réponse n°5

Simon_02

 

Stéphane SIMON
Professeur des Universités (Paris Diderot)
Spécialiste en endodontie
Exercice libéral limité à l’endodontie et la traumatologie
Directeur pédagogique et Scientifique de l’organisme de formation Endo Académie

Le développement des réseaux sociaux pendant ces dix dernières années n’a pas épargné notre profession. Néanmoins, nos propres expériences nous montrent à quel point ils peuvent être aussi bénéfiques que dangereux. Un des avantages indéniables pour notre profession de ces nouveaux moyens de communications, c’est qu’ils sont devenus des canaux de communications jusqu’ici inexistants. Quel autre moyen de diffusion aurait permis une connexion vers presque 12 000 personnes pour une communication en endodontie comme a pu l’être le dernier Facebook Live du jeudi 9 janvier.

Ainsi, la diffusion de l’information ne se limite plus à quelques conférenciers dont c’est parfois devenu le métier, et qui transmettent l’information de façon descendante. Cette transmission descendante est celle que nous avons connue pendant des années, celle où le conférencier s’adresse à des praticiens plongés dans une salle obscure, et qui ont fait la démarche volontaire de venir se former ou au moins s’informer.

Avec les réseaux sociaux, plus besoin d’aller vers l’information, elle vient vers nous toute seule. Nombreux sont ceux qui considèrent que ces réseaux sociaux, ces groupes de discussion, ne sont pas des moyens de formation. Je n’appartiens pas à ceux-là.

Dans les pays de l’Europe du Nord, la formation par l’immersion dans un groupe est devenue la règle. Nos confrères belges ont quant à eux l’obligation de participer à des peer reviews, qui ne sont ni plus ni moins des groupes de paroles… autour d’un thème plus ou moins défini.

Alors ces groupes de discussion virtuels peuvent faire partie de la formation professionnelle. Néanmoins, deux facteurs ont tendance à limiter leur intérêt :

1. Contrairement à l’échange verbal, l’échange écrit, virtuel, a deux inconvénients. D’une part, il est limité dans le contenu, car les échanges doivent être courts et concis, empêchant ainsi de donner tous les détails que l’on aimerait. D’autre part, l’écriture ne donne pas le ton de l’expression. Qui n’a pas été surpris de la mauvaise interprétation d’un de ses messages par le lecteur qui peut y trouver une agressivité alors que notre intention était tout autre ?

2. L’anonymat des intervenants peut être utilisé à mauvais escient. Alors que pour certain, utiliser un nom d’emprunt permet de s‘exprimer ce qui pourrait lui être impossible dans un contexte réel, d’autres se retranchent derrière un clavier sous un nom d’emprunt voire un pseudonyme, pour développer une agressivité inutile qui au final ne participe pas à la formation, mais peut surtout lui nuire.

À titre personnel, j’ai beaucoup appris en publiant des cas cliniques que je pensais non discutables. Flattant ainsi mon ego après avoir travaillé le cadrage de mes images, je suis très vite redescendu sur terre à la lecture de commentaires, voire de critiques. Je dois reconnaître que le premier ressenti est un sentiment d’agression. « Qui peut critiquer ce que je considère comme un succès ? »

J’ai alors appris à appliquer une procédure que m’avait enseigné mon mentor Tony Smith lorsque l’on reçoit une décision négative d’un journal scientifique qui vient de refuser la publication d’un travail scientifique que l’on considère comme la découverte du siècle. Cette technique est simple : fermer le message ; partir marcher, boire une bière dans un pub, faire autre chose. Ne revenir sur le document que 24 ou 48h plus tard. Et c’est intéressant de voir à quel point on interprète les messages différemment… En appliquant cet exercice, je me suis surpris moi-même à reconnaître que finalement si ce cas n’avait pas été le mien, j’aurais pu également le discuter voire le critiquer.

À ma façon, je me suis formé. Et je continue à me former…

À me former en sortant de ma zone de confort. Celle où je trouve que tout est facile, les actes reproductibles et facturés à des valeurs qui me permettent d’en vivre très correctement.

À me former en comprenant que mon exercice différent n’est pas forcément reproductible dans tous les cabinets.

Comprendre tout cela m’a permis également de modifier ma façon d’enseigner et de transmettre lorsque je me retrouve dans une situation qui m’est plus confortable car plus maîtrisable, à savoir celle de la conférence, celle de la transmission descendante.

Bien malin est celui qui pourrait dire si la transmission descendante a encore un avenir ou si les réseaux sociaux s’installeront dans le temps. Peut-être même qu’ils seront remplacés par quelque chose de différent que nous n’avons pas encore imaginé.

En conclusion, je dois reconnaître que malgré mon appétence pour le numérique, le virtuel, la délocalisation et la désynchronisation que j’applique chez Endo-Académie avec le E-learning, le contact humain reste indispensable et nécessaire. Vous imaginez si on se parlait au sein d’un congrès sur le même ton que dans les échanges de certains groupes Facebook ?


Réponse n°6

weinmanJérôme WEINMAN
Chirurgien-dentiste à Paris
Médecin-dentiste à Genève
DU de Réhabilitation chirurgicale maxillo-faciale – Paris VII
Master in implantology, surgery, prosthetics & bone grafts – Goethe University (Frankfurt)

Nos trompeuses convictions professionnelles… Ou, les certitudes sont la paresse de l’esprit.

Un professionnel est une personne qui est en opposition avec l’amateur, même éclairé. Il doit faire évoluer son métier et son art en permanence sous peine de disparaître au profit des plus innovants.

Le génie humain réside dans sa capacité à diversifier ses tâches en fonction de ses talents et ses espérances. Darwin a dit à propos de la survie : « ce n’est pas la plus forte ni la plus intelligente des espèces qui survivra, mais celle qui est la plus apte à s’adapter ». Ce principe est universel et s’applique à toutes et à tous et en l’espèce aux dentistes que nous sommes.

Qu’est-ce que nos convictions professionnelles, si ce n’est une vérité qui ne fait illusion que le temps d’avoir la certitude qu’elle était fausse, partielle ou imparfaite ?

La crédulité humaine n’a d’égal que son génie mais semble hélas beaucoup plus fréquente. Ce pourcentage prépondérant s’explique facilement car il est plus facile de se ranger à la doxa du plus grand nombre que de s’y opposer en présentant une solution alternative nouvelle. Mais c’est paradoxalement cette résistance à la pensée unique qui a permis d’écrire l’Histoire de l’Homme.

Puisque nous ne sommes pas des amateurs mais des professionnels doués de notre part de génie humain, la réflexion et la remise en question doivent être présentes à chaque acte pratiqué.

Pourquoi fais-je cela ? Doit-on se demander.

Si la réponse est uniquement : “Parce qu’on te l’a dit ou enseigné, ou parce que c’est interdit de faire autre chose au nom d’une loi ou d’un règlement”, alors une autre question doit venir : “Quel est le sens de ce qu’on m’a dit ?”

Si on perd le sens des choses, c’est que ces choses sont vides de sens.

La question suivante sera : “Que dois-je faire pour retrouver un sens aux choses que je fais, ou bien, comment faire mieux que je ne le faisais avant ?”

Cela nous amènera à être sans doute différent, et même à aller à l’encontre du dogme ou peut-être même de la loi en vigueur. Mais c’est cela être « Humain ».

Chaque conviction, même la plus sincère, doit être remise en question à l’aune d’une logique qui change en permanence avec l’évolution de la pensée humaine. Cela ne veut pas dire que l’on a tort ou forcément raison, mais cela veut dire qu’on doit avoir le courage de confronter sa conviction à celles des autres dans le respect de tous, sans conflit. Cela s’appelle le débat.

Il faut garder en mémoire que la plupart des choses vraies hier sont des idioties aujourd’hui. Alors voyons si les vérités de demain ne sont pas déjà au menu du jour et remplaçons le plat d’hier.

C’est ainsi que le génie humain s’est toujours exprimé, mais le plus souvent dans la douleur des génies contre la béate et rassurante certitude ambiante de l’époque. Pour simple exemple :

Je me suis demandé pourquoi mon exercice, pourtant médical, est si éloigné des principes de base de mes collègues médecins et chirurgiens ? Un chirurgien lorsqu’il reçoit un patient fait un diagnostic.

Pour cela, il demande des examens exploratoires désormais banals, comme un bilan radiologique en 3D puisque le 2D est obsolète. Et bien sûr, il ne saurait s’affranchir du bilan sanguin, et éventuellement d’un prélèvement bactérien ainsi que d’un test PCR. Il n’est pas question d’autre chose pour un chirurgien qui opère l’os et les tissus mous de la face dans un pays surmédicalisé.

Or, quid de nos pratiques qui se moquent de ce genre de protocole? Au nom de quoi pouvons-nous nous exonérer d’être aussi médicaux que les médecins ?

Je me suis demandé également pourquoi nous autres dentistes qui sommes à la source des pires douleurs et la clef des pires souffrances, devrions nous être exclus des thérapies anesthésiques qui sont ordinaires dans la pratique de l’ensemble des collègues qui manient le bistouri (et même pas la roulette) ?

Ne devrait-on pas renverser ce paradigme et arrêter de se priver, pour une raison obscure perdue de vue, des compétences d’un anesthésiste au fauteuil afin de sédater et sécuriser nos patients ?

Il y a beaucoup d’autres exemples à tous les niveaux de protocoles et de concepts qui ont fait, font et feront évoluer nos pratiques et la médecine en générale.

À mon avis, les principes de médecine et dentisterie régénérative sont l’avenir de nos patients. Mais lorsqu’ils auront pénétré nos cabinets et, avant eux, les ministères. Aujourd’hui complètement sous-estimés dans ce  pays, voire dénigrés ou pire interdits, ils sont déjà l’ordinaire de nos collègues étrangers.

Mais la terre n’était-elle pas plate pendant que le soleil lui tournait autour, il y a peu ?

La seule conviction qui est immuable depuis l’aube des âges, c’est que l’intelligentsia dirigeante sclérosante, hélas majoritaire quelles que soient les circonstances et les époques, sera finalement oubliée au profit d’un génie émergeant, qui lui, écrira son nom dans le livre de l’Histoire.

La leçon à tirer à l’ère d’internet et de la fulgurance de la communication des idées, c’est que chaque opinion doit être entendue avec une sagesse novatrice, une circonspection et une intelligence moderne et non pas injuriée ou “stigmatisée” à la vitesse électronique parce qu’elle ne rentre pas dans le format de la pensée unique et paresseuse.


Pour relire le billet d’introduction de Michel Abbou, rendez-vous ici.
Pour relire la réponse de Jean-Christophe Paris, David Siarri et Franck Lasry, rendez-vous ici.

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