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Radio opacité péri-radiculaire : penser au cémentome ossifiant

Chirurgie bucco-maxillaire Par Bernard GUILLAUME, Daniel CHAPPARD le 12-05-2020

En pratique quotidienne on observe de façon non exceptionnelle des opacités sur des panoramiques dans le cadre d’un bilan odontologique standard. La plupart du temps il s’agit de découverte asymptomatique sans manifestation douloureuse.

La localisation de ces images est plus fréquemment mandibulaire, en zone dentée ou édentée. Ces images sont caractérisées par un aspect d’opacité dense, d’une taille de quelques millimètres voir de quelques centimètres, souvent entourées d’un halo radio-clair ou radio-transparent. Ces formations peuvent être également au contact de racines dentaires pouvant occasionner des algies ou des mortifications pulpaires. Cet aspect clinico-radiographique peut être évocateur de cémentome bénin mais dont seule l’histologie pourra apporter la certitude.

L’indication de l’exérèse n’est pas systématique et relève d’une analyse de l’ensemble des éléments liés au développement du cémentome (taille de la tumeur, localisation près d’une racine ou du plancher sinusien, compression sur le nerf alvéolaire inférieur) du contexte physio-pathologique à de type sensation d’algies itératives, et du bilan thérapeutique (extraction dentaire, pose d’implant).

 

Présentation de cas cliniques

Il sera examiné ici trois cas de cémentome mandibulaire variant par leur position taille et manifestation :

 

Premier cas : Mme A.

Patiente âgée de 20 ans, adressée pour extraction de sa 36 particulièrement délabrée sans manifestation douloureuse en vue d’une réhabilitation implanto-prothétique. L’examen radiographique révéla, outre un processus infectieux autour de l’apex de la racine mésiale une importante concrétion tumorale évocatrice d’un cémentome. Celui-ci a pu être retiré après extraction des racines de la 36.

Figure-1-Mme-A-1cas
Clichés radiographiques du Docteur TEMAN. I.R.P 31, avenue Hoche Paris

 

Deuxième cas : Mme C.

Patiente âgée de 23 ans, adressée pour bilan de lésion radio-opaque mandibulaire de découverte radiographique en dehors de tout symptôme clinique. La patiente ne ressentait aucune algie ou mobilité sur cette molaire. L’examen du cône beam montre un processus de rhyzalyse sans mortification pulpaire de la racine distale. La vitalité de la 36 était conserve selon les tests usuels en tenant compte de l’imprécision de ces tests. Il n’y a pas eu de décision de dévitalisation et de traitement radiculaire. Dans le cas présent, il a été décidé une analyse histologique de la nature de cette tumeur évoquant un cémentome sur une biopsie effectuée par trépanation sous anesthésie locale.

Figure-1a-Mme-C_2eme-cas
Clichés radiographiques du Docteur TEMAN. I.R.P 31, avenue Hoche Paris

Étude histologique, le prélèvement a été analysé par microtomographie (« microscanner ») et permet de la visualiser dans les différents plans de l’espace ainsi que d’effectuer des coupes virtuelles au centre du prélèvement. Ensuite, la tumeur a été incluse en résine méthacrylique et analysée sans décalcification.

Figure-1-Mme-C_2eme-cas
Coupe histologique : laboratoire GEROM. Pr CHAPPARD.

Image du haut, faible grossissement montrant toute l’épaisseur de la carotte de biopsie. La tumeur, très dense (encerclée en pointillé) est mêlée au tissu osseux de voisinage qui comporte des travées et des cavités médullaires. Image du bas, à plus fort grossissement on voit les appositions successives de tissu osseux tumoral avec des lignes cémentantes (flèches noires).

Les cémentocytes sont nécrosés, laissant des logettes vides (flèches rouges).

 

 

Troisième cas : Mme P.

Patiente âgée de 78 ans, adressée pour algies mandibulaires et extraction d’organe dentaire délabré. Le bilan radiographique a révélé un kyste apical sous la racine distale de 36 et un très volumineux processus tumoro-kystique sous la racine mésiale de la 36 et de la 35. Compte tenu de la clinique ou les organes dentaires n’étaient pas conservables, il a été décidé de procéder conjointement à l’avulsion de 35 et 36 avec exérèse de la tumeur. Ce cas clinique est présenté à la fois sur son aspect chirurgical et sa spécificité histologique par imagerie 3D.

Figure-1a-Mme-P_3eme-cas
Clichés radiographiques du Docteur TEMAN. I.R.P 31, avenue Hoche Paris

Étude histologique, le prélèvement a été analysé par microtomographie. Ensuite, la tumeur a été incluse en résine méthacrylique et analysée sans décalcification.

Figure-2-Mme-P_3eme-cas
Coupe histologique : laboratoire GEROM. Pr CHAPPARD.

A • Vue générale du prélèvement à faible grossissement. La zone tumorale dense est encerclée en pointillé. Le reste du prélèvement est composé d’os cortical.
B • Fort grossissement : on voit les appositions successives de tissu osseux tumoral avec des lignes cémentantes (flèches noires). Les cémentocytes sont nécrosés, laissant des logettes vides (flèches rouges).
C • Au grossissement moyen, on visualise le tissu tumoral dense.
D • Le même champ vu en microscopie de polarisation montre que la tumeur est essentiellement composée d’un tissu fibreux non lamellaire. Quelques rares zones lamellaires (flèches jaunes) sont visibles.

 

Discussion

Le cémentome bénin ou dysplasie cémento-osseuse focale ou encore fibrome cémento-ossifiant (selon la nouvelle classification OMS des tumeurs osseuses odontogènes et maxillofaciales) est une tumeur odontogène rare de la mâchoire (Slootweg, 1996 ; Piette and Justin, 2001 ; Barnes et al., 2005 ; Speight and Takata, 2018). Sa première description a été faite par Dewey en 1927 (cité par Sumer [Sumer et al., 2006]). La lésion provient d’un tissu mésenchymateux, bien que son étiologie exacte soit encore inconnue. Ses principales caractéristiques sont représentées par une masse radio-opaque attachée à la racine (le plus souvent une molaire mandibulaire) qui est circonscrite par une zone radiotransparente périphérique (Sumer et al., 2006). Des différences existent dans la littérature concernant le nom de la tumeur en raison de la difficulté à différencier le cément cellulaire du tissu osseux. (Speight and Takata, 2018).

 

L’examen histologique en microtomographie a montré le caractère très condensé de ces tumeurs avec la présence de canaux vasculaires (canaux de Havers). En microscopie photonique, les tumeurs sont calcifiées avec une zone de prolifération en périphérie. En microscopie de polarisation, les tumeurs apparaissent composées d’un tissu le plus souvent non lamellaire. Les cellules incluses dans la matrice calcifiée (cémentocytes ou ostéocytes) sont souvent nécrosées au sein du prélèvement. Il est impossible de préciser avec ces méthodes s’il s’agit de cément cellulaire ou de tissu osseux.

La découverte d’une telle lésion survient le plus souvent au décours de la prescription de cliché panoramique.

 

Deux cas de figure peuvent se présenter :

• Soit cette lésion survient en dehors de tout contexte clinique particulier. Il s’agit alors d’images radio claires au sein du corpus mandibulaire principalement entre les racines des prémolaires et molaires mandibulaires. L’aspect radiographique de ces lésions est relativement homogène mais diffus dans la travée mandibulaire sans délimitation précise.

La taille varie allant de quelques millimètres à plus d’un centimètre. Un bilan scanner apportera la confirmation de l’aspect initial et surtout l’extension de cette lésion dans la zone trabéculaire mandibulaire. Sur un plan chirurgical, il n’est pas indispensable de procéder au retrait de ces lésions mais plutôt une surveillance radiographique régulière de type panoramique annuel pour apprécier la transformation en volume de cette lésion. Une biopsie est toujours possible.

 

• Soit le patient consulte en raison de douleurs dentaires mal définies au niveau apical ou à la suite d’une déformation globale du corpus mandibulaire d’apparition relativement récente. Dans ces cas le cliché radiographique montrait une image radio claire relativement volumineuse de plus d’un cm au sein d’une clarté radiotransparente. Une telle image impose un cliché scanner pour délimiter à la fois au niveau des organes dentaires et au niveau des travées corticales, l’étendue de la lésion voir la dégradation des tables externes pouvant aboutir à une destruction totale de la corticale externe ou interne.

Cette lésion est plus ou moins attachée aux apex radiculaires, soit adhérant la racine soit en dehors. Son niveau de localisation est très variable mais en règle générale plutôt observée sous les apex.

Selon le bilan clinique des algies dentaires, déformation de la masse osseuse, altération importante de la densité du corps mandibulaire il peut être envisagé de procéder au retrait de cette lésion. L’extraction dentaire précède le retrait de cette lésion. On vérifiera que le geste chirurgical conserve les parois corticales source d’une régénération secondaire.

L’intervention faite sous anesthésie locale voir anesthésie ostéo centrale présente le plus souvent un plan de clivage permettant le retrait complet de la lésion. Sur le film présenté on constate le retrait global de cette concrétion osseuse.

Il n’est pas nécessaire de procéder à un comblement osseux de ce déficit après cette après ce retrait car les parois externes ayant été conservé la régénération se fera normalement. Elle sera appréciée dans sa totalité qu’après un scanner de contrôle un an après.

On ne dispose pas de bilan sur la qualité et la nature de la régénération après de telle avulsion.
Parfois peut se poser l’indication implantaire. Si l’image radiographique un an après est strictement normale, il impose néanmoins de rappeler de façon excessivement précise aux patients la nature histologique de cette lésion qui bien que bénigne, a malgré tout les caractéristiques d’un os pathologique.

 

 

Références bibliographiques

• Barnes L, Eveson JW, Sidransky D, Reichart P. 2005. Pathology and genetics of head and neck tumours: IARC.
Piette E, Justin J. 2001. Tumeurs d’origine dentaire. In: Piette E, Goldberg M, editors. La dent normale et pathologique. Bruxelles: DeBoeck. p 355-356.
• Slootweg PJ. 1996. Maxillofacial fibro-osseous lesions: classification and differential diagnosis. In: Seminars in diagnostic pathology. p 104-112.
• Speight PM, Takata T. 2018. New tumour entities in the 4th edition of the World Health Organization Classification of Head and Neck tumours: odontogenic and maxillofacial bone tumours. Virchows Archiv 472:331-339.
• Sumer M, Gunduz K, Sumer AP, Gunhan O. 2006. Benign cementoblastoma: a case report. Medicina Oral, Patología Oral y Cirugía Bucal (Internet) 11:483-485.
• Chappard D., Guillaume B., Teman G., Kün-Darbois JD. 2020. Raman spectroscopic analysis and imaging in two cases of benign cementoma. Comparison with dental and bone tissues. En ligne : Journal of Raman Spectroscopy. DOI: 10.1002/jrs.5880.

 

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