Contourner la greffe osseuse pour simplifier un cas complexe
Implantologie Par Hadi ANTOUN, Amina HASSAINE le 19-11-2024Comment transformer un cas complexe en un cas simple ?
Anamnèse et motif de consultation
Notre patiente, âgée de 62 ans, nous a été adressée par son dentiste traitant pour l’extraction de 36 en phase terminale et un avis sur la faisabilité implantaire sur ce site. La dent en question avait déjà été traitée endodontiquement en 2001. Vingt-deux ans plus tard, une fistule linguale ainsi qu’une lacune osseuse importante sont apparues de façon asymptomatique.
Fig. 01 : situation clinique et radiologique initiale de la 36 mettant en avant la lésion apicale et périphérique qui se manifestait par une fistule linguale. D’une façon plus globale, la bouche du patient est plutôt saine avec néanmoins une inflammation du parodonte superficiel et des soins correctement réalisés.
L’examen clinique montre une hygiène bucco-dentaire perfectible avec présence de plaque et de tartre supra-gingival ainsi qu’une inflammation gingivale marginale généralisée. La 36 est couronnée, légèrement mobile et présente une poche de 8mm en lingual allant jusqu’à la fistule.
L’occlusion statique et dynamique est globalement équilibrée. Aucun dysfonctionnement temporo-mandibulaire n’a été relevé lors de cet examen.
La radiographie panoramique a en effet montré une image radio claire, notamment autour de la racine mésiale de 36, mais également au niveau de 26 dont le traitement endodontique est prévu dans une phase ultérieure. L’examen 3D est réalisé par la suite afin d’évaluer l’étendue de la lésion en 36 et la faisabilité implantaire à ce niveau. Il met en évidence une lésion péri-radiculaire qui a engendré la perte de la table linguale au niveau de la racine mésiale. La table vestibulaire est très fine au niveau des deux racines. La largeur et la hauteur de la crête mesurées au niveau du septum sont respectivement de 9mm entre les pics osseux vestibulaires et linguaux, et de 15mm jusqu’au bord supérieur du canal alvéolaire.
Diagnostic et plan de traitement
À l’issue de ces examens cliniques et radiologiques, le pronostic réservé de 36 est confirmé et l’indication de l’extraction est bien posée. L’éventualité d’une implantation immédiate est écartée en raison de la perte osseuse conséquente(1). Une préservation alvéolaire associée à un comblement osseux et une membrane non résorbable est donc envisagée le jour de l’extraction pour une implantation différée dans de bonnes conditions.
En effet, la préservation alvéolaire est une approche fréquemment indiquée pour atténuer les changements dimensionnels post-extractionnels mais aussi pour régénérer une partie du volume osseux résorbé(2). Elle réduit dans un nombre non négligeable de cas le recourt à des techniques d’augmentation osseuse et muqueuse supplémentaires plus lourdes, plus longues et plus onéreuses pour le patient.
Étapes de traitement
La patiente est revue après la première consultation pour l’extraction de la 36.
La dent est extraite de façon atraumatique afin de préserver au maximum les murs osseux résiduels. Après dépose de la couronne, les racines sont ensuite séparées à l’aide d’une fraise chirurgicale montée sur un contre-angle bague rouge avant d’être extraites l’une après l’autre. Après curetage des alvéoles et élimination minutieuse de tous les tissus de granulation, un rinçage actif et abondant à la bétadine puis au sérum physiologique vient compléter cette première étape.
Fig. 02 : extraction atraumatique de la 36 après section de la partie coronaire et séparation radiculaire.
Une incision intra-sulculaire de 35 à 37 et crestale en 36 sont réalisées pour permettre un léger décollement de la gencive de pleine épaisseur en vestibulaire et en lingual. Le but est d’accéder au rebord des murs osseux en vue de la préservation alvéolaire.
L’alvéole est par la suite comblée par un matériau allogénique cortico-spongieux (0,5 cc). Une membrane non-résorbable d-PTFE découpée selon les dimensions mésio-distale et vestibulo-linguale vient recouvrir ce greffon. Elle est ensuite glissée en dessous des lambeaux vestibulaire et lingual, allant au-delà des rebords osseux pour une meilleure stabilité ainsi que pour assurer l’espace nécessaire à la régénération. Des points de sutures discontinus avec du fil PGA 5.0 sont réalisés de façon à rapprocher légèrement les berges et plaquer la membrane sans rechercher à la recouvrir.
Fig. 03 : préservation alvéolaire associée à un comblement osseux allogénique et une membrane non résorbable d-PTFE placée à cheval sur l’alvéole résiduelle.
La patiente a été mise sous antibiotiques (Amoxicilline 2g/j) pendant 6 jours. Elle est revenue à 2 semaines pour la dépose des points de sutures et un enseignement à l’hygiène orale puis à 6 semaines, pour un contrôle post-chirurgical qui consistera à retirer la membrane et à vérifier la cicatrisation gingivale.
Le retrait de la membrane à l’aide d’une précelle engendre l’exposition d’un tissu gingival cicatriciel, d’aspect inflammatoire qui cicatrisera par deuxième intention dans les quelques jours qui suivent.
Fig. 04 : contrôle à 6 semaines post extraction, la membrane est retirée laissant apparaître un tissu cicatriciel d’aspect inflammatoire.
La patiente est convoquée à 3 mois post extraction pour le CBCT pré-implantaire qui confirmera le volume osseux suffisant pour la pose d’un implant sans aucune procédure d’augmentation osseuse supplémentaire.
Il est réalisé avec un « X-clip » en bouche en vue d’une pose de l’implant par chirurgie guidée naviguée(3). Le « X-clip » contient 3 billes calibrées servant de repère et dont les informations recueillies sont analysées dans un logiciel de planification d’implant. Un wax-up virtuel, proposé par le logiciel, permet par la suite une planification implantaire dans une position optimale selon le projet prothétique choisi associé au volume osseux disponible.
Fig. 05 : situation clinique et radiologique à 3 mois post extraction. On note l’aspect de la muqueuse kératinisée et le volume osseux satisfaisant ainsi que la régénération de la table osseuse linguale initialement résorbée.
Fig. 06 : planification implantaire idéalisant la position du futur implant en vue d’une chirurgie guidée naviguée.
Le jour de l’intervention, le recours à la chirurgie naviguée va consister en une approche 100% guidée du forage jusqu’à la pose de l’implant, grâce à 2 caméras qui relient en temps réel le patient et le contre-angle du chirurgien.
Dans notre cas, toute la procédure se déroule en flapless. L’implant ne sera pas enfoui et sera recouvert par un pilier de cicatrisation large (6,5 x 4mm) afin de préparer au mieux le profil d’émergence de la future couronne.
Fig. 07 : pose de l’implant 36 en flapless par chirurgie guidée naviguée « X-Guide » avec le contrôle radiographique postopératoire.
Avantage de la chirurgie naviguée
• Placement tridimensionnel optimal et précis de l’implant, tel que décidé lors de la planification, sans guide chirurgical souvent encombrant.
• Permet également l’usage de la trousse chirurgicale traditionnelle avec une visibilité du champ opératoire améliorée par rapport à l’usage d’un guide statique.
• Possibilité de vérifier à tout moment la précision du dispositif ainsi que l’option de modifier la planification sont des avantages majeurs de cette option thérapeutique.
Suivi post-opératoire
La patiente est revue à 2 mois pour le contrôle feu vert qui consistera à vérifier la stabilité de l’implant et l’état de la muqueuse.
Un dévissage puis revissage asymptomatique du pilier de cicatrisation à 20Ncm permet de s’assurer de l’ostéointégration optimale de l’implant. Une radiographie rétro alvéolaire de contrôle vient compléter cet examen.
Fig. 08 : cicatrisation à 2 mois post-opératoire. On note l’aspect sain de la muqueuse péri-implantaire et la préservation de la largeur gingivale ainsi qu’un niveau osseux stable autour du col implantaire.
Trois mois plus tard, la patiente est revue pour le contrôle de la prothèse définitive. On note alors une muqueuse saine avec un contour satisfaisant et anatomique. Le contrôle radiologique met en évidence un niveau osseux stable au-dessus du col implantaire.
Fig. 09 : situation clinique et radiologique 3 mois après la pose de la prothèse d’usage. Noter le profil d’émergence de la muqueuse autour de la couronne implantaire et son harmonie vis-à-vis de la gencive adjacente ainsi que la stabilité osseuse autour du col implantaire.
Un examen 3D de contrôle confirme la stabilité de cette régénération osseuse autour de l’implant.
Conclusion
L’analyse approfondie de la situation initiale est indispensable pour choisir le meilleur protocole de traitement. L’approche de la préservation et régénération alvéolaires simplifiées a fait en sorte de se retrouver dans des conditions osseuse et muqueuse optimales malgré la situation initiale de résorption avancée, tout en évitant une greffe osseuse.
La chirurgie guidée a permis une intervention précise et sans lambeau pour un positionnement optimal de l’implant qui a abouti à une restauration implantaire correspondant aux objectifs que nous nous sommes fixés.
Références bibliographiques
(1) G. Avila-Ortiz, L. Chambrone, F. Vignoletti – Effect of alveolar ridge preservation interventions following tooth extraction : A systematic review and meta-analysis.
J Clin Periodontol. 2019 Jun;46 Suppl 21:195-223. doi: 10.1111/jcpe.13057. Erratum in: J Clin Periodontol. 2020 Jan;47(1):129
(2) G-I. Benic, C. H-F. Hämmerle – Horizontal bone augmentation by means of guided bone regeneration.
Periodontol 2000. 2014 Oct;66(1):13-40. doi: 10.1111/prd.12039
(3) M. Romandini, E. Ruales-Carrera, S. Sadilina, C. H-F. Hämmerle, M. Sanz – Minimal invasiveness at dental implant placement : A systematic review with meta-analyses on flapless fully guided surgery
Periodontol 2000. 2023 Feb;91(1):89-112. doi: 10.1111/prd.12440. Epub 2022 Jul 30
Cet article vous est proposé par le Dr Hadi ANTOUN.
La 1ère publication de ce cas date de juillet 2024.