Burnout – un déni collectif !

Par Serge DESCHAUX le 02-12-2016

Serge Deschaux anime depuis 2010 l’Observatoire national de la santé des chirurgiens-dentistes.
Cet observatoire a deux missions principales :
– réaliser et tenir à jour un état des lieux de la santé des praticiens, de leurs conditions de travail et des troubles pouvant entraîner l’arrêt prématuré de leur exercice professionnel.
– surveiller ces phénomènes et dégager des mesures de prévention, qui soient des solutions concrètes permettant de limiter ces effets sur la santé des chirurgiens-dentistes.

Dentalespace l’a interviewé au sujet du colloque qui a eu lieu en novembre sur la vulnérabilité des personnels de santé.

Deschaux

Dentalespace : Un colloque sur la vulnérabilité des soignants vient de se tenir au Val de Grâce et vous y interveniez. Où en sont les chirurgiens-dentistes face au risque de burnout ?

Serge Deschaux : Il n’y a ni burnout ni suicides chez les chirurgiens-dentistes !

DE : Vous êtes sérieux ?

SD : Nos caisses et instances ne semblent rien voir sur leurs écrans radars. Toujours est-il qu’elles ne répondent pas à nos demandes de transmission de chiffres et que certains se contentent de dire qu’il n’y a pas de suicides dans la profession. Bizarre tout de même quand on sait que 112 soignants se sont suicidés en 2015 ! Les chirurgiens-dentistes échapperaient-ils à ce risque ? En vous annonçant cela en ouverture de cette interview, je suis bien évidemment dans la provoc, car il faut enfin frapper fort pour faire bouger les choses !

DE : Vous qui êtes le spécialiste du thème pour les chirurgiens-dentistes, que savez-vous réellement ?

SD : Nous sommes devant un splendide cas de déni collectif. Les responsables de la profession ne veulent pas laisser apparaître une image de faiblesse pour un ensemble de soignants censés rester debout tels des « John Wayne », une flèche plantée dans l’omoplate mais toujours souriants à l’écran. D’autres craignent de voir s’emballer leur sinistralité…

En fait, tout vient contredire cet affichage si grossier que personne n’y croit. Quelle est la réalité ?… Nous avons mené en 2010-2011 une enquête nationale qui a conclu à 48 % de chirurgiens-dentistes concernés par le burnout. Des témoignages poignants nous sont également parvenus.

DE : Alors que faire ?

SD : Nous ne pouvions rester immobiles, à nous en tenir à ce constat. Nous avons aussitôt créé le programme « Prenons soin de nous » comportant des conférences aidant à reconnaître les signes du burnout, ainsi qu’une ligne d’écoute pour une prise en charge psychologique des personnes en souffrance.

DE : 48 % de chirurgiens-dentistes concernés par le burnout, pourquoi votre profession en est arrivée à ce stade ?

SD : C’est la réalité des chiffres que nous retrouvons à l’identique ou presque dans d’autres professions de santé dont les médecins. Les chirurgiens-dentistes souffrent d’un stress spécialisé baignant dans la gestion constante de la douleur et des craintes des patients, dans le rapport à l’argent (l’argent fâche de plus en plus aujourd’hui), dans la forte dépendance à un plateau technique de plus en plus sophistiqué, dans une surcharge de travail surtout dans les zones démographiquement défavorisées… et je ne parle pas du réglementaire en « millefeuille » ni des obligations administratives qui sont le lot de tous les libéraux.

Et plus globalement, comment voulez-vous qu’une profession  se sente bien quand elle se fait assassiner par les médias : dentistes « empoisonneurs », dentistes « voleurs » !! … Et que dire du total mépris dans lequel nous tient Madame la ministre qui en 5 ans n’aura rencontré aucun des représentants de la profession, pas même le président de l’Ordre ? Tout ce  « dentist bashing » participe largement au mal-être des consœurs et des confrères. Cela n’a que trop duré.

DE : Qu’envisagez-vous de faire pour remédier à ce malaise ?

SD : Je me tiens à trouver des solutions pratiques pour limiter la casse, comme celles dont je viens de vous parler c’est-à-dire conférences et ligne d’écoute. Mais la réponse est essentiellement politique.

Le monde du travail salarié commence à prendre en compte systématiquement les risques psychosociaux, mais il dispose de moyens conséquents tels que la médecine du travail ou des personnes dédiées dans les grandes entreprises. Mais de quoi disposent les libéraux ?

DE : C’est justement la question que j’allais vous poser…

SD : Les libéraux risquent de crever de leur individualisme exacerbé. Ils doivent s’organiser d’urgence et les organisations professionnelles doivent offrir à leurs adhérents le pendant de ce qui est offert dans le salariat. Les chirurgiens-dentistes ont besoin tout autant que les autres « travailleurs » d’un certain cocooning, tout du moins d’une écoute au-delà de leurs légitimes revendications dans leur exercice conventionnel. La qualité de vie au travail est une autre revendication toute aussi légitime. D’ailleurs la HAS a bien démontré qu’il n’y avait pas de Qualité-sécurité des soins sans qualité de vie des soignants. A bien prendre en compte les souffrances des chirurgiens-dentistes, tout le monde y trouvera son compte : les professionnels d’abord mais aussi les patients et les financeurs. C’est bien pour cela que je vous dis que la solution est avant tout politique. Elle réside également dans le sentiment d’appartenance.

DE : Votre discours est-il entendu ?

SD : Je ne suis qu’un simple maillon, mais je me livre sur votre média pour que retentisse mon coup de gueule au-delà de mes frontières, car j’ose prétendre que mes propos sont d’intérêt public et même de Santé publique. Par respect pour toutes celles et tous ceux qui souffrent dans nos rangs, et je les entends chaque jour, il faut absolument lever ce déni collectif. Ce n’est pas du « misérabilisme » que de dire que le chirurgien-dentiste est une femme ou un homme comme un(e) autre, avec ses forces et ses faiblesses ! Les chiffres doivent nous parvenir sans que nous ayons à les mendier. Nous devons suivre l’évolution de cette épidémie de burnout si nous voulons valablement la combattre. Chacun dans son rôle doit prendre à cœur de voir l’envers du décor de tous ces « John Wayne ». On peut aussi pleurer…derrière l’écran.

DE : Vous nous parliez d’une ligne d’écoute. Où doivent appeler nos consœurs et confrères en souffrance psychologique ?

SD : Le programme « Prenons soin de nous » vient de rejoindre la plate-forme SPS. Le numéro d’appel est maintenant le 0 805 23 23 36, ouvert 24 H/ 24 et 7 j /7. Des psychologues diplômés prennent en charge les appelants dans une totale confidentialité.

DE : Un dernier mot ?

Etre chirurgien-dentiste libéral c’est aussi appartenir à une famille. L’entreprise « médecine bucco-dentaire française et libérale » mérite autant d’égards que d’autres grands groupes socio-économiques. Quand tout le monde l’aura compris et que les médias nous lâcheront la grappe, nous pourrons encore mieux soigner en prenant soin de nous.

*L’Observatoire national de la santé des chirurgiens-dentistes (ONSCD) a été créé à l’initiative de la CNSD

Biographie de Serge Deschaux…

Contact : dr_serge_deschaux(arobase)orange.fr

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