Médecine et littérature : un lien séculaire

Par Jean VILANOVA le 13-12-2016

On connaissait déjà l’alliance du sabre et du goupillon. Alors évoquons aujourd’hui celle, plus paisible, de la plume et du stéthoscope. Rabelais, Céline, Tchekhov, Ibsen, Somoza, Schnitzler, Maugham… comment les citer tous ? Ils sont si nombreux, géants littéraires et aussi médecins…

Par quels mécanismes mystérieux l’empathie envers celui qui souffre, la lutte de chaque instant contre la maladie conduisent-elles à l’introspection littéraire ?

A bien y regarder, la littérature regorge de très belles pages dont on se dit qu’elles n’ont pu être écrites que par un médecin. Pour le lecteur attentif, il y a là, à chaque fois, la « patte » reconnaissable entre toutes de celui qui voisine avec la douleur et l’angoisse du malade.

Par exemple, chacun devrait avoir lu, au moins une fois dans sa vie Place des Angoisses, de Jean Reverzy, un petit livre hallucinant. Impossible à lâcher une fois ouvert, il décrit le regard que porte un jeune interne (l’écrivain lui-même) sur son maître, le professeur Joberton de Belleville, mandarin sévère et silencieux, demi-dieu presque désincarné.

Le hiératique professeur Joberton de Belleville et son jeune interne rejoignent ici leur frère de souffrance, Ferdinand Bardamu, l’inoubliable médecin des pauvres du Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline.

Place des Angoisses où tout n’est que fatigue et fatalisme développe aussi une profonde réflexion sur la mort du médecin lui-même, cette mort tant redouté « … malgré la certitude d’un néant bien mérité par crainte que rien ne subsiste du merveilleux fardeau accroché à mes épaules. »

Jean Reverzy, médecin lyonnais est mort en 1959 à l’âge de 45 ans.

Autre destin, médecin marin, poète, écrivain, ethnologue, lui-même un personnage de roman à la vie brève et fulgurante, Victor Segalen occupe une place singulière dans ce panthéon. Sa vaste culture nous renvoie aux Lumières qui, cependant et à l’inverse de Segalen ne furent pas humbles, mais on leur pardonnera… Jamais pages ne réuniront aussi sûrement le chercheur et le lecteur avide d’espaces lointains.

Et puis encore…  Mikhaïl Boulgakov, Jacques Chauviré, François Jacob, Sigmund Freud, Sir Arthur Conan Doyle, Alfred Doblin et tous les autres, un cortège d’enchanteurs, de passeurs dont les mots continuent de nous interpeller longtemps après que le livre soit fermé. Une fenêtre ouverte sur une forme de pur plaisir, un appel à la curiosité et au sens critique donc à l’intelligence de chacun d’entre nous, aux antipodes du verbe minuscule de ceux qui parlent fort à défaut de parler bien.

Enfin, que seraient les écrivains sans les libraires ? A ce sujet, sait-on que l’une des plus belles librairies de France, la librairie MOLLAT à Bordeaux est dirigée par… un médecin ? La boucle est bouclée.

Cet article a été rédigé par Jean Vilanova pour La Médicale.

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