Cas de traitement canalaire initial d’une molaire maxillaire nécrosée
Endodontie et micro-chirurgie Par Rémy GOMBERT le 12-02-2024Commençons par un bref rappel sur les objectifs du traitement endodontique. La Haute Autorité de Santé (HAS) définit clairement l’objectif de toute procédure endodontique comme ceci :
« Le traitement endodontique a pour objectif de traiter les maladies de la pulpe et du périapex et ainsi de transformer une dent pathologique en une entité saine, asymptomatique et fonctionnelle sur l’arcade. »
Dès lors, il est clair que le paramètre central de tout traitement endodontique est la biologie. Toute la réflexion autour d’un cas devra avoir comme objectif une réduction la plus importante possible de la charge bactérienne au sein du réseau canalaire et le scellement étanche de ce dernier pour éviter une recontamination.
Présentation du cas
Cas clinique d’une patiente de 36 ans, sans antécédent médical, allergique au latex, adressée pour la prise en charge endodontique de la 26. À la consultation, cette dent est porteuse d’une obturation coronaire provisoire.
L’examen clinique révèle :
• Un test de vitalité électrique négatif
• Une palpation vestibulaire légèrement douloureuse
• Une percussion axiale douloureuse
• Un sondage parodontal négatif
Une radiographie rétro-alvéolaire est réalisée.
Fig. 01 : cliché pré-opératoire.
Le cliché rétro alvéolaire montre la présence de lésions apicales, mais permet également d’observer une lumière canalaire fine au niveau des racines vestibulaires.
Un examen CBCT est réalisé afin de préciser l’anatomie canalaire et d’observer le volume des lésions apicales.
Fig. 02 : cette coupe de la racine mésio-vestibulaire nous montre la présence d’une lésion apicale mais aussi la présence d’un MV2, totalement indépendant du MV1.
Fig. 03 : cette coupe de la racine disto-vestibulaire montre aussi la présence d’une lésion apicale.
Fig. 04 : la coupe de la racine palatine montre la présence d’une volumineuse lésion apicale en rapport avec le sinus maxillaire et qui a presque entièrement soufflé la corticale palatine. Le mot clé ici est « presque ». La présence d’un petit bandeau osseux cervical en palatin nous permet d’espérer une cicatrisation osseuse.
Le recueil de ces informations lors de la consultation est primordial afin d’établir un protocole opératoire adapté à chaque cas.
Réalisation du traitement
Isolation et accès
La première étape est bien évidemment l’isolation de la dent par la pose d’un champ opératoire.
Fig. 05 : pose de la digue.
Fig. 06 : l’obturation coronaire provisoire est ensuite déposée à la fraise.
La dépose de l’obturation coronaire est complétée par la réalisation de la cavité d’accès et l’élimination du tissu carieux. À ce stade, l’entrée des 4 canaux est visible au microscope. L’isolation de la dent est incomplète. Avant d’aller plus loin, il convient de retrouver une cavité étanche à 4 parois.
Une reconstitution pré-endodontique est réalisée en CVI à l’aide d’une matrice. Afin d’assurer une étanchéité optimale du champ opératoire, un joint en digue liquide est réalisé autour de la dent.
Fig. 07 : reconstitution pré-endodontique + calfatage.
Les entrées canalaires sont évasées à l’aide d’un opener (Opener FQ, Komet). Cet instrument à forte conicité (8%) permet d’éliminer les contraintes coronaires présentes dans le premier tiers du canal.
Cathétérisme et mise en forme
L’exploration des canaux se fait ensuite avec une lime manuelle (K 10.02, Komet) jusqu’à arriver à la longueur de travail. Afin de sécuriser le passage des limes de mise en forme, un cathétérisme mécanisé est réalisé dans chaque canal (FQ Glider 15.03, Komet).
La mise en forme se fait ensuite facilement par le passage d’une lime de dimensions 25.06 (lime FQ, Komet).
Une irrigation à l’hypochlorite de sodium à 2.5% est réalisée entre chaque passage de lime. Chaque lime est nettoyée à l’aide d’une compresse imbibée d’hypochlorite entre chaque passage.
Le choix du diamètre et de la conicité de la mise en forme est guidé par la biologie. Dans ce cas, une mise en forme en 6% de conicité permet de faciliter la décontamination du réseau canalaire :
• En ménageant un espace plus important qu’une mise en forme en 4% pour la circulation de l’irrigant.
• En éliminant une quantité plus importante de dentine pariétale sur laquelle est présente le biofilm bactérien que nous cherchons à éliminer.
Une lime manuelle est passée en fin de mise en forme pour vérifier la perméabilité de chaque canal.
Irrigation finale
Nous voilà arrivés à l’étape centrale du traitement canalaire. C’est la seule étape qui permet d’avoir une action biologique sur le réseau canalaire. Notez que tout ce qui a été fait avant sert à permettre cette décontamination et tout ce qui sera fait ensuite vise à pérenniser le résultat de la décontamination.
L’irrigation finale ne doit jamais être négligée.
Dans ce cas, nous sommes face à un microbiote endodontique complexe. La dent est nécrosée, infectée depuis longtemps. Le nombre de micro-organismes à éliminer est extrêmement important. Leur élimination est rendue encore plus compliquée par la collaboration inter-espèce et la formation dans le temps d’un biofilm bactérien sur les parois canalaires et à l’intérieur des tubulis dentinaires.
Le protocole d’irrigation doit donc être adapté à cette difficulté. Il doit toujours associer un moyen de distribution de l’irrigant (seringue + canule) à un moyen d’activation de l’irrigation pour augmenter l’efficacité de la solution d’irrigation.
J’ai fait le choix d’une activation par laser Er:YAG pour avoir une action biologique optimale. Le protocole d’irrigation dans ce cas a été, pour chaque canal :
• 10ml d’acide citrique à 20% (chélatant) + activation laser
• 15ml d’hypochlorite de sodium à 5% + activation laser
• Rinçage au sérum physiologique
• 15ml de chlorhexidine à 2% + activation laser
• Rinçage final au sérum physiologique
Avant de réaliser l’irrigation finale, le champ opératoire est nettoyé avec une compresse imbibée d’hypochlorite et les gants sont changés.
Obturations canalaire et coronaire
Toujours guidé par la biologie, j’ai fait le choix d’une obturation canalaire en technique monocône avec ciment à base de silicates de calcium ou ciment biocéramique (BioSeal, Komet). Les ciments biocéramiques sont à la fois biocompatibles et bioactifs. Ils permettent de stimuler la cicatrisation des tissus péri-apicaux sans les altérer. Ils présentent également des propriétés d’étanchéité et de stabilité dimensionnelle très intéressantes.
Cette technique d’obturation est extrêmement simple de mise en œuvre : après validation radiologique des cônes de gutta, le ciment est injecté dans chaque canal. Le cône de gutta est ensuite mis en place avec de petits mouvements de va-et-vient. L’extrémité coronaire du cône est sectionnée à l’entrée du canal à l’aide d’un insert ultrasonique sans irrigation et une pression est exercée en direction apicale.
Fig. 08 : cliché post-opératoire.
Fig. 09 : l’obturation coronaire transitoire est réalisée par la mise en place d’un composite flow dans la cavité d’accès et la patiente est renvoyée vers la correspondante pour reconstitution coronaire d’usage.
Contrôle post-opératoire
La patiente est revue 6 mois après le traitement canalaire pour un contrôle. Ses symptômes ont disparu depuis l’intervention. La palpation vestibulaire et la percussion sont asymptomatiques.
Étant donné la forme initiale de la lésion palatine, un examen CBCT est réalisé pour visualiser la corticale palatine impossible à observer sur un cliché en 2D.
Fig. 10 : coupe de la racine mésio-vestibulaire.
Fig. 11 : coupe de la racine disto-vestibulaire.
Fig. 12 : coupe de la racine palatine.
Le CBCT montre une cicatrisation osseuse ad integrum au niveau de la racine palatine. La corticale palatine est de nouveau intacte, de même que le plancher sinusien. La cicatrisation osseuse est également observée au niveau des racines vestibulaires.
Conclusion
Chaque traitement canalaire doit être abordé par le praticien comme une partie d’échecs. Bien que l’objectif biologique final soit toujours le même, nous devons adapter notre protocole opératoire à chaque cas.
Aucune séquence opératoire n’est applicable dans 100% des cas.
Tout commence à la consultation par un recueil d’informations cliniques et radiologiques. Ces informations sont complétées au fur et à mesure de l’avancement de la procédure.
Avant de commencer le traitement canalaire, le praticien doit avoir établi :
• Une stratégie d’isolation
• Une stratégie d’accès
• Une stratégie de mise en forme
• Une stratégie d’irrigation
• Une stratégie d’obturation
Ces stratégies ne sont pas figées et peuvent évoluer en fonction du déroulement de la procédure. Cette gymnastique mentale d’anticipation et d’adaptation est la clé pour que le traitement canalaire se déroule sereinement et pour atteindre l’objectif final de conservation de la dent sur l’arcade.
Cet article a été écrit par le Dr Rémy GOMBERT.