Lampe à photopolymériser, comment faire le bon choix ?
Dentisterie du sourire Par Edouard LANOISELEE le 05-04-2024Élément central du protocole de restauration direct ou indirect par collage, la polymérisation du composite ou de la colle repose sur 2 procédés, indépendants ou combinés :
• La chémopolymérisation, en lien avec le mélange d’une base et d’un catalyseur
• La photopolymérisation, issue de l’apport de lumière qui initie la réaction de polymérisation d’un photo-initiateur.
Il existe un grand nombre de composites disponible sur le marché, chaque marque faisant évoluer régulièrement sa gamme pour proposer des matériaux toujours plus performants d’un point de vue biomécanique mais aussi esthétique. Avec le développement de nouveaux composites plus clairs ou translucides d’autres photo-initiateurs ont été développés. Aujourd’hui, nous pouvons dire qu’il existe deux types de photo-initiateurs :
• Le premier type est : la camphroquinone (CQ), la phénanthrènequinone (PQ), l’oxyde de bisacylphosphine (BAPO), le benzophénone (BP) et la 1-phényl-1,2-propanodione (PPD) qui combinait deux modes de polymérisation.
• Le deuxième type est : le triméthylbenzoyl-diphénylphosphine oxyde (TPO), le peroxyde de benzoyle (BPO).
Certains combinent deux types de polymérisation comme le PPD.
De nouveaux photo-initiateurs ont été développés comme le dibenzoyl germanium (Ivocerin), ces derniers sont caractérisés par un degré de conversion plus élevé et une stabilité de couleur supérieure.
Tous ces photo-initiateurs ont des longueurs d’ondes d’absorption différentes avec des pics à des longueurs d’ondes différentes, voici quelques exemples :
• CQ : 360-510 nm (maximum d’absorption : 468 nm).
• BAPO : 365-416 nm (maximum d’absorption : 400 nm).
• BP : 240-370 nm (maximum d’absorption : 294 nm).
• PPD : 300-400 nm (maximum d’absorption : 410 nm).
• TPO : 380-425 nm (maximum d’absorption : 400 nm).
• Ivocerin : 390-445 nm (maximum d’absorption : 418 nm).
Fig. 01 : profils d’absorption des photo-initiateurs en fonction des longueurs d’ondes. Nous pouvons observer la variabilité des plages et des pics d’absorption. La résultante est la nécessité de couvrir toutes ces plages de lumière pour garantir une polymérisation de qualité. lentille.
Au même titre qu’il existe un grand nombre de références de composites et de photo-initiateurs, nous avons à notre disposition un large choix au niveau des lampes à photopolymériser.
La grande majorité des modèles sont aujourd’hui à LED (diodes électroluminescentes). Elles nécessitent peu de puissance, peuvent ainsi fonctionner sur batteries et ont une durée de vie de plusieurs milliers d’heures. À leur création, ces lampes présentaient un défaut de puissance et nécessitaient une durée de polymérisation supérieure à leurs homologues halogènes. La deuxième génération a permis d’augmenter la puissance des LED. Enfin, la troisième génération a permis de fournir des LED avec différentes longueurs d’ondes pour permettre l’activation des différents photo-initiateurs. Nous sommes parfois perdus pour l’évaluation de notre lampe ou pour le choix de son renouvellement par un nouveau modèle. Mais alors, comment bien choisir sa lampe à photopolymériser ?
Bien évaluer et choisir sa lampe à photopolymériser
Il existe aujourd’hui 2 modes de conduction de la lumière de nos lampes LED soit par une fibre optique soit par une lentille. Le praticien a le choix, en fonction de l’ergonomie qu’il souhaite, d’opter pour l’un ou l’autre système. L’important est de présenter le faisceau le plus proche et le plus perpendiculaire possible au composite.
Fig. 02 : fibre ou lentille.
Il convient aussi d’utiliser les systèmes de protection. En effet une fibre ou une lentille salie présentera une perte de puissance.
Fig. 03 : protection de l’embout de polymérisation.
Avant d’envisager l’achat d’une nouvelle lampe à photopolymériser, il convient de regarder plusieurs paramètres :
• Le flux radiant : donne la puissance de la lampe en watts.
• L’énergie : équivaut à la puissance multipliée par le temps et est mesurée en joules.
• L’irradiance : lumière que la résine reçoit en mW/cm2.
• L’exposition radiante : cela équivaut à l’irradiance multipliée par le temps et est mesurée en J/cm2.
• Le spectre d’émission : longueurs d’onde de la lumière provenant de la lumière de polymérisation en nanomètres (nm).
Fig. 04 : positionnement idéal perpendiculaire et en intimité de contact avec la dent.
Si l’on prend un composite dont le temps de polymérisation recommandé par le fabricant est de 10 secondes à 800 mW/cm2, il faut délivrer une puissance de 8 J/cm2 pour obtenir une polymérisation complète ; pour un composite dont le temps est de 20 sec, il faudra 16 J/cm2.
Pour réaliser nos tests, nous avons utilisé le système MARC (Measurement of Accuracy when Resin Curing) ainsi qu’un radiomètre Gigahertz-Optik. Développé par le Dr Richard Price, le système MARC permet de mesurer sur un mannequin à l’aide d’un capteur antérieur (de profondeur 1 mm) et un postérieur (de profondeur 4 mm) la quantité d’énergie lumineuse totale appliquée au matériau.
Fig. 05 : système MARC.
Le logiciel permet de voir les courbes d’énergie en fonction des longueurs d’ondes mais aussi de déterminer le temps nécessaire à l’obtention d’une polymérisation complète.
Lors des essais nous avons constaté que, quelle que soit la lampe, il existe une différence d’énergie transmise entre le secteur antérieur et postérieur. La distance entre la source de lumière et le récepteur ainsi que l’angulation de la lampe conduisent à cette perte de puissance.
Fig. 06 : différence entre les lampes avec le système MARC.
Nous pouvons noter qu’il existe des différences importantes entre certaines lampes.
La lampe 4 nécessite un temps très long (LED de 1ère génération), d’autres poussées en mode turbo ne demandent qu’un temps très court (lampes 5 et 6). Ces modes (haute intensité et turbo) permettent de générer une quantité d’énergie bien supérieure mais s’accompagnent d’un dégagement de chaleur très important. Pour compenser cela, certaines lampes ont un système de sécurité bloquant pendant une durée très courte le faisceau afin de limiter l’élévation de température.
Fig. 07 : spectre d’une lampe en mode standard, et temps optimal de polymérisation.
Fig. 08 : arrêt de sécurité au cours de la polymérisation.
Le radiomètre Gigahertz-Optik permet d’effectuer des mesures d’irradiance et de flux radiant et nous donne le spectre d’émission de la lampe. Ces éléments combinés communiquent à la fois des informations sur la qualité de la lampe mais aussi sur la puissance qu’elle délivre (en fonction du diamètre de l’embout).
Fig. 09 : le radiomètre Gigahertz-Optik.
La recommandation est d’avoir une irradiance de 800 à 1000 MW/cm2 avec une lampe LED neuve pour obtenir une bonne polymérisation. De plus, son spectre doit couvrir l’ensemble des longueurs d’ondes des photo-initiateurs. L’irradiance est inférieure à la puissance car le diamètre et la collimation du faisceau influencent les valeurs.
Fig. 10 : exemple d’énergie délivrée par des lampes LED (source Inside dentistry).
Fig. 11 : puissance radiante, irradiance et spectre d’une même lampe selon les modes.
Fig. 12 : certaines des lampes testées ne présentent pas de puissance suffisante ou à puissance suffisante ont un spectre qui ne couvre que la camphroquinone.
Fig. 13 : en mode standard la plupart des lampes présentent une puissance suffisante (nos tests incluant une marge d’erreur de 10%) et un spectre moyen couvrant les photo-initiateurs majoritairement utilisés.
Fig. 14 : une lampe présente un spectre couvrant très bien les basses longueurs d’ondes mais avec une puissance insuffisante.
Un dernier paramètre à prendre en compte est l’élévation de la température liée au dégagement d’énergie. Un excellent moyen et simple moyen de tester sa lampe est de l’activer sur la pulpe du doigt. Nous pouvons ainsi sentir l’élévation de température. Sur certaines des lampes testées, nous ne pouvions laisser notre doigt plus de quelques secondes tellement la température augmentait. Si l’on reporte cela à l’échelle d’une dent, le risque pour la pulpe n’est pas négligeable surtout dans le cas de restaurations proxipulpaires !
Dans ce cas, il est recommandé d’utiliser le mode progressif ou séquentiel de la lampe ou à défaut de refroidir lors de la polymérisation avec de l’air. Si l’un de ces mode est utilisé, il ne faut pas oublier d’allonger les durées de polymérisation pour compenser les phases non actives.
Beaucoup de lampes testées présentaient plusieurs modes de polymérisation mais aussi un mode diagnostic, pour dépister les fêlures, caries et résidus de composite lors d’une réintervention. Les bases de recharge ont aussi des testeurs permettant de contrôler la puissance de la lampe. Si votre lampe ne possède pas cette option, il est possible d’acheter ces unités indépendamment.
Fig. 15 : testeurs ou bases intégrant un testeur.
Le sans-fil est de plus en plus proposé pour son ergonomie. Il faut faire attention à la qualité des batteries ainsi qu’au niveau de charge (1/3 minimum) qui risque de diminuer la qualité de la polymérisation. L’idéal est de prendre un modèle avec batterie remplaçable.
Conclusion
En résumé, le choix de la lampe à photopolymériser ne résume pas qu’à une question de puissance. Spectre, irradiance, modes, et sans-fil sont autant d’éléments à prendre en compte lors de l’achat. Il ne faut pas hésiter à questionner le fabricant sur ces différents points. Une marque rigoureuse sera en mesure de fournir tous ces éléments.
À l’usage, la protection et le bon entretien de la lampe sont essentiels au maintien dans le temps de cette dernière. Il ne faut être réticent à l’idée d’allonger les temps de polymérisation pour donner suffisamment d’énergie au composite et obtenir une conversion complète.
Enfin, il est recommandé de bien suivre les évolutions car les derniers modèles sortis répondent au cahier des charges de nouveaux photo-initiateurs présents sur le marché.
Références bibliographiques :
Richard Bengt Price, BDS, DDS, MS, PhD | Braden Sullivan – Selecting a Dental Light Curing Unit.
Inside Dentistry, Volume 19, Issue 8, August 2023.
Andrea Kowalska, Jerzy Sokolowski, Kinga Bociong – The Photoinitiators Used in Resin Based Dental Composite-A Review and Future Perspectives.
Polymers (Basel). 2021 Feb 2 ; 13(3) : 470. doi : 10.3390/polym13030470.
Pelissier B and Coll. – Analyse de l’irradiation lumineuse pour la polymerisation des composites.
Interet du système MARC. Inf Dent. Inf Dent 2012 ;29/30 :27.
Pérard M, Chevalier V. – La photopolymérisation.
Biomat Clin. 2019Oct ; 2 Vol4 ; 32-41.
Le Dr Edouard Lanoiselée, auteur de cet article, remercie la société Ultradent pour la mise à disposition du matériel pour les tests.