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Le service dentaire de l’armée française en 1940

Gestion cabinet Par le 20-07-2015

Bref historique…
Le 1er décembre 1892 est votée la loi Brouardel qui donne un statut au chirurgien-dentiste. Dès lors, ne peuvent exercer que les personnes ayant suivi des études appropriées qui sont délivrées au sein des Facultés de médecine (Morgenstern, 2009). C’est donc une profession balbutiante qui s’engage dans la guerre en 1939.

Le 26 février 1916, un service dentaire est créé dans l’infanterie de l’armée française pour la seule durée de la guerre. Celui de la Marine voit le jour le 1er mars de la même année. Au lendemain de la Grande Guerre, seule la Marine, ne disposant pas de structure d’accueil satisfaisante, décide de dissoudre son service dentaire. En 1934, un service dentaire de réserve y est mis en place de nouveau. Lieutenant en 1818, les dentistes peuvent y devenir capitaine avec la loi du 19 décembre 1934 (Riaud, 2009). Quelques mois plus tard, le même grade est attribué aux dentistes de l’armée de terre. La Fédération nationale des chirurgiens-dentistes de réserve (FNCDR) En 1925, les premiers officiers dentistes rentrés dans la vie civile se regroupent pour former l’Amicale des dentistes des armées de terre, de mer et de l’air de la région de Paris, lors du 3ème Congrès de médecine et de pharmacie militaire. Ceci a été créé avec l’objectif de garder les liens tissés entre eux pendant la guerre et de s’entraider afin de reprendre une vie normale (Jamin, 2011).
Cabinet dentaire du Fort Hackenberg – Ligne Maginot
(à 20 km de Thionville en Mozelle).
Une préparation militaire spéciale supérieure facultative (PMS) d’une durée de deux ans a été créée, permettant ainsi aux étudiants en chirurgie dentaire, une fois cette PMS obtenue, d’accomplir la dernière partie de leur service militaire en qualité de dentiste militaire de 2ème classe, l’équivalent du grade de sous-lieutenant. Ceux-ci intègrent des cabinets dentaires de garnison, des centres d’édentés ou encore des services de prothèse maxillo-faciale. En 1927, ils sont seulement huit. Les étudiants n’ayant pas accompli leur PMS ne peuvent intégrer que le service des infirmiers (Benmansour (a) et (b), 2002). Ces amicales ont demandé par la suite au ministre de la Guerre, la permission d’ouvrir une école de perfectionnement des chirurgiens-dentistes (EPOR). La Direction centrale du Service de santé des armées (DCSSA), se préoccupant de varier les branches du service de santé, a aussitôt accordé son soutien, ce qui a débouché à l’ouverture de la première EPOR. Cette école de perfectionnement a offert ses premiers services lors de cours mensuels à l’hôpital militaire Villemin en octobre 1926. L’exemple donné par Paris s’est étendu à partir de 1931 et chaque région militaire a pu jouir de sa propre EPOR. De plus, intégrer cette école a vite compté pour l’avancement en grade (Konieczny, 1992).
Cabinet dentaire du Four à Chaux dans les Vosges
Finalement, toutes ces amicales régionales se sont regroupées en une Fédération nationale des chirurgiens-dentistes de réserve, en 1933, présidée plus tard notamment par Pierre Budin qui est un des 11 présidents de cette fédération et qui a reçu la Légion d’honneur en 1920 pour son héroïsme sur le champ de bataille. Cette institution s’est consacrée vivement à l’amélioration du statut du dentiste. La DCSSA a organisé la formation des chirurgiens-dentistes afin de les préparer à toutes sortes de fonctions : anesthésiste, aide-chirurgien, radiologue, secouriste, etc. C’est le cas de Pierre Henry qui est mobilisé en 1940 et intègre l’équipe chirurgicale de l’hôpital d’Ancemont où il officie en tant qu’anesthésiste. Pendant la guerre, démobilisé, il exerce à Rennes (Jamin, 2011). C’est ainsi qu’au Val-de-Grâce, le médecin-général Ginestet a formé des chirurgiens-dentistes aux spécialités de la chirurgie maxillo-faciale. Les dentistes ont été informés des diverses pratiques médicales répondant aux dégâts causés par des armes plus modernes engendrant des blessures plus complexes et plus nombreuses localisées au niveau maxillo-facial. Tout ce travail en collaboration avec la DCSSA a préparé l’intervention du corps des chirurgiens-dentistes en cas de futur conflit (Benmansour (a) et (b), 2002).
Les dentistes d’active
 Le Service de santé des armées, comprenant le service de chirurgie dentaire, a remodelé son organisation suite aux bilans effectués à la fin de la Première Guerre mondiale. Il a décidé de mettre en place des structures médicales plus mobiles pouvant suivre un régiment ou une division, plus adaptées aux nouveaux schémas des guerres dites de mouvement. Ainsi, des groupes chirurgicaux mobiles, des hôpitaux avancés, des hôpitaux médicaux d’évacuation et divers services de santé ont fait leur apparition. Dans chacune de ces structures, une, voire plusieurs places, pour un dentiste a (ont) été pourvue(s). La Loi du 1er avril 1923 prévoit ainsi, dans l’article 39, que les étudiants en dentaire doivent accomplir leur service militaire dans le Service de santé comme infirmier s’ils n’ont pas fini leur cursus dentaire, ou en tant que chirurgien-dentiste 2ème classe s’ils sont diplômés (Jamin, 2011).
La mobilisation
 La Seconde Guerre mondiale éclate le 3 septembre 1939. S’en suit une mobilisation générale en France. Les chirurgiens-dentistes de réserve sont appelés, pour la plupart en tant que lieutenant, à différentes zones stratégiques. Leur affectation s’est faite soit dans les formations sanitaires de divisions, soit dans les ambulances chirurgicales ou également dans les régiments placés à l’avant. Leur travail en ce début de conflit concerne peu le domaine dentaire. Ils servent comme assistants pour des soins médicaux souvent spécialisés. Seuls, quelques-uns exercent dans des cabinets dentaires de garnison ou d’hôpitaux. En effet, le Service de santé, avec la mobilisation, a créé un cabinet dentaire dans chaque chef-lieu de secteur et dans les garnisons les plus importantes. Ainsi, en première ligne, ils interviennent dans les postes de secours pour soigner les blessés. En zone divisionnaire, ils collaborent avec des médecins et chirurgiens au sein des groupes chirurgicaux mobiles ou avancés. Enfin, à l’arrière, ils sont employés par les centres spécialisés en chirurgie maxillo-faciale ou encore dans les services de radiologie. En ce début de guerre, les interventions immédiates et les premiers soins aux blessés sont prioritaires et demandent beaucoup d’efforts. D’autant plus qu’aux militaires, s’ajoutent les blessés civils, victimes des bombardements (Benmansour (a) et (b), 2002). Pour ceux ayant pu suivre l’enseignement délivré dans les EPOR, les nouvelles affectations des chirurgiens-dentistes se font plus aisément dans les services chirurgicaux (Konieczny, 1992).
Uniforme de lieutenant dentiste avec certitude (velours violet sur le képi, sur les pointes de col, caducée visible sur les pointes de col et sur tous les boutons), fabriqué entre 1930 et 1935, porté en 1940, le calot kaki étant conçu à partir de 1930. Avant, il était bleu. Les galons sont sur le revers pendant la guerre 14/18. Ils sont au-dessus du revers à partir de 1934/1935. Ici, ils sont sur le revers. L’uniforme des officiers dentaires est identique à celui des troupes montées (décret de 1934). Ici, il est antérieur à 1934. Dans les barrettes de décorations, sont reconnaissables dans l’ordre, de gauche à droite, les rubans suivants : 1/ Chevalier de la Légion d’honneur, 2/ Croix de guerre 14-18 (sans citation), 3/ Croix du combattant (créée par la loi du 28 juin 1930), 4/ Impossible à identifier, mais, compte tenu de l’ordre de port des décorations officielles françaises, il peut être estimé qu’il s’agit de la médaille commémorative interalliée, dite « médaille de la victoire », créée par la loi du 20 juillet 1922 et accordée sous réserve de trois mois de présence, consécutifs ou non, entre le 2 août 1914 et le 11 novembre 1918, aux militaires ayant appartenu à des unités énumérées par l’instruction ministérielle du 7 octobre 1922, qui se porte avant la distinction n°5 qui suit, 5/ Médaille commémorative française de la Grande Guerre, 6/ Insigne des blessés. Le pantalon présente une bande de commandement qui existe depuis 1830 (Riaud, 2012 & Pauchard, 2012).
Les soins délivrés
Soigner les pathologies bucco-dentaires des hommes de troupe afin de les soulager et qu’ils redeviennent très vite opérationnels est un objectif primordial. Un homme qui souffre se bat mal et constitue une menace pour ses camarades. De plus, une mauvaise dentition ne permet pas une bonne mastication, ce qui peut engendrer des maladies plus générales. Voir les militaires au sein même des troupes a permis également de délivrer des notions d’hygiène bucco-dentaire.
Dans le but de garder une trace écrite, une fiche schématique est établie pour chaque soldat et un journal est tenu quotidiennement par le chef de service du cabinet dentaire. Y sont inscrites toutes les consultations et interventions réalisées.
Des remises en état de la cavité buccale sont systématiquement effectuées avant toute opération militaire, avec un détartrage préliminaire obligatoire, première démarche d’hygiène.
Des extractions sont faites en grand nombre. Toute attribution d’un appareil prothétique doit faire l’objet au préalable d’une demande auprès du directeur du Service de santé de la région par l’intermédiaire du stomatologiste principal pour autorisation.
Les extractions devant être faites avant la réalisation d’un éventuel appareil ne le sont qu’une fois l’avis favorable délivré au chef de service du cabinet dentaire. Un mois et demi après, l’appareil peut être conçu. Si, au contraire, un refus motivé revient, seules, les extractions sont faites (Konieczny, 1992).
Dans chaque cabinet dentaire, le personnel est composé d’un chef de service, qui est souvent un médecin stomatologiste ou un chirurgien-dentiste militaire, et de chirurgiens-dentistes militaires pour l’assister selon les besoins décidés par le stomatologiste principal de la région.
Ce chef de service est sous la direction du médecin-chef de la formation à laquelle il est rattaché telle que le corps de troupe, l’infirmerie régimentaire, l’hôpital militaire, etc., tout en demeurant sous les ordres du stomatologiste principal (Jamin, 2011).
En 1940, la formation continue est assurée par des revues comme l’Odontologie qui cesse sa parution entre juin/juillet 1944 et mars/avril 1945. En 1942, faute de publicité pour la promouvoir et à cause de la guerre, les publications s’espacent et s’amincissent au point de ne plus avoir de couverture (Benmansour (a) et (b), 2002).
Pierre Audigé (1908-1944) (Famille Audigé, 2005).
Le service de stomatologie Pendant la Seconde Guerre mondiale, après la capitulation des Français, le 22 juin 1940, signée à Rethondes, de nombreux chirurgiens-dentistes démobilisés sont rappelés pour soigner les blessés de la face. La chirurgie maxillo-faciale prend alors une place importante dans les soins médicaux et devient une spécialité à part entière, profitant des nouvelles techniques et des nouveaux matériaux apparus sur le marché. A côté des organisations secondaires qu’ont été les cabinets dentaires de garnison qui ont fonctionné dans les chefs-lieux de secteur et dans les garnisons les plus importantes, il a existé des services de stomatologie. Ils ont été mis en place dès le début de la guerre.
Il y a ainsi deux articulations différentes concernant ces structures à l’arrière : 1/ les services techniques inter-régionaux 2/ les services techniques régionaux
1/ Le centre inter-régional de chirurgie et de prothèse maxillo-faciale est indépendant du service régional, mais demeure sous les ordres du directeur du Service de santé de la région dont il dépend.
Un chirurgien, chef de service, y est à sa tête et dispose comme adjoint, d’un médecin stomatologiste qui, lui, est chef du service de prothèse maxillo-faciale. Ces deux professionnels ont pour équipe tous les spécialistes qui leurs sont nécessaires pour la chirurgie et la prothèse : stomatologistes, chirurgiens-dentistes et techniciens en prothèse dentaire (Benmansour (a) et (b), 2002).
Dans ces centres inter-régionaux, sont traités principalement les délabrements osseux des maxillaires, de la face et du cou grâce à cette formation mixte chirurgicale et stomatologique.
Au contraire, les fractures plus simples des maxillaires, c'est-à-dire sans perte de substance, sont soignées dans les centres de stomatologie régionaux. De même, les édentés simples ne sont pas admis dans ces centres de chirurgie et de stomatologie. Il existe pour ces blessés des centres d’édentés où ils peuvent être appareillés. Chaque centre est bien spécialisé. Le tout est de bien orienter, et rapidement, les blessés.
Alain Maheu (1899-1980) de retour de déportation (Maheu, 2003).
2/ Dans une région, il n’existe qu’un seul service de stomatologie, voire plusieurs si la région est très étendue. Un seul centre de prothèse dentaire pour édentés travaille à la confection des appareils dentaires de tous les édentés venus dans les cabinets dentaires des garnisons de la région. Ces services de stomatologie et de prothèse dentaire régionaux comportent 50 à 100 lits sur 10 000 à 20 000 lits pour tout le milieu médical. Les affections odonto-stomatologiques trop importantes pour être traitées dans les cabinets dentaires, les affections dentaires, les fractures simples des maxillaires et leur appareillage, et les extractions dites chirurgicales y sont opérées. L’appareillage prothétique simple des édentés y est effectué. La direction de ces centres régionaux est assurée par un stomatologiste principal de la région. Il doit surveiller le centre de stomatologie et de prothèse dentaire, et les cabinets dentaires. Son effectif est le suivant : - un technicien en prothèse dentaire capable de faire un appareil par jour, soit 30 appareils par mois ; - un dentiste militaire capable de fournir du travail à 4 ou 5 techniciens.
Maurice Prochasson (Musée de l’Ordre de la Libération, 2011).
Un officier s’occupe de la gestion du matériel comprenant l’entretien et les demandes. Il tient également un registre sur ce qui a été posé « en bouche », avec la description de l’appareil.
Cela permet par la suite de justifier du prix de chaque appareil. Enfin, le directeur de la région peut ainsi suivre l’activité du centre d’édentés grâce à un compte-rendu mensuel (Konieczny, 1992 & Bourguignon, 2004). Depuis l’instruction sur l’aptitude au service militaire du 7 décembre 1938, pour les troupes métropolitaines, suivant un calcul donnant le coefficient de mastication du militaire, en cas de déficience de l’état général du militaire attribuable à l’insuffisance de la denture, l’appareillage est rendu possible, mais seulement lorsque son coefficient de mastication est inférieur à 25%. Ainsi, tout homme, même complètement édenté, mais muni d’un appareil de prothèse complet, a pu être gardé dans le service (Konieczny, 1992). Dans la phase maxillo-faciale d’urgence, le blessé doit être conduit à un centre maxillo-facial entre 2 et 10 jours après la blessure. Plus le traitement débute rapidement et plus les chances de succès sont importantes. La phase réparatrice, quant à elle, nécessite souvent des plasties cutanées (= greffes). L’immobilisation des bords osseux fracturés est indispensable pour leur réussite.
La période moyenne de consolidation primaire des greffes est de 2 mois environ, mais, c’est vers le 4ème mois que les greffes reprennent une apparence d’os normal (Konieczny, 1992).
Le 11 novembre 1942, l’armée allemande envahit la zone libre, partie sud de la France. Le mois suivant, l’armée d’armistice est dissoute. Dès lors, le Service de santé de l’armée française n’existe plus. Le soutien médical a été confié pour toute la durée du conflit aux Britanniques et surtout aux Américains (Jamin, 2011). Nombre de dentistes démobilisés en 1940 entrent alors en Résistance, leurs cabinets dentaires servant de plaques tournantes pour l’échange d’informations. Beaucoup d’entre eux sont morts fusillés par la Gestapo (Pierre Audigé). D’autres ont été déportés et en sont revenus diminués (René Maheu). D’autres se sont engagés dans les forces françaises libres (Maurice Prochasson).
Blessé à la face à son arrivée (à gauche) et à son départ (à droite) du centre africain
(Converse J., Péri M. & Roche G. K. T., 1944).
Références bibliographiques : Benmansour Alain (a), « Histoire du statut des chirurgiens-dentistes militaires français », in Le Chirurgien-Dentiste de France, n°1063/64, 2002, pp. 34-39. Benmansour Alain (b), « Histoire du statut des chirurgiens-dentistes militaires français », in Le Chirurgien-Dentiste de France, n°1065, 2002, pp. 52-56. Bourguignon Patrick, La place du chirurgien-dentiste au sein des forces armées hier et aujourd’hui : rôle de la réserve et du réserviste, Thèse Doct. Chir. Dent., Paris V, 2004. Converse J., Péri M. & Roche G. K. T., Blessés maxillo-faciaux : observations faites au centre au cours des campagnes 1942-1943. Centre de chirurgie réparatrice et maxillo-faciale d’Afrique. Rapport au congrès interallié Alger, tomes I et II, 21 février 1944. Famille Audigé, communication personnelle, Nantes, 2005. Jamin Sophie, Le chirurgien-dentiste français pendant la Seconde Guerre mondiale, Thèse Doct. Chir. Dent., Rennes, 2011. Konieczny Bruno, Le chirurgien-dentiste dans le Service de Santé des Armées françaises durant les guerres modernes, Thèse Doct. Chir. Dent., Nantes, 1992. Maheu Alain, communication personnelle, Saint Malo, 2003. Morgenstern Henri, Les dentistes français au XIXème siècle, L’Harmattan (éd.), Collection Médecine à travers les siècles, Paris, 2009. Musée de l’Ordre de la Libération, communication personnelle, Paris, 2011. Pauchard Jean-Michel, communication personnelle, Paris, 2012. Riaud Xavier, Première Guerre mondiale et stomatologie, des praticiens d’exception, L’Harmattan (éd.), Collection Médecine à travers les siècles, Paris, 2009. Riaud Xavier, collection personnelle, Saint Herblain, 2012.
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