Les réhabilitations occluso-fonctionnelles : approche diagnostique
Occlusodontie - ATM, Esthétique Par Damien SAVOURE le 19-05-2020Introduction
Il nous est tous arrivé de nous demander en recevant un patient présentant une situation dentaire défavorable : « Par où vais-je bien pouvoir commencer ? ».
Fig. 01 : Par où commencer pour cette patiente qui consulte pour améliorer l’esthétique de ses dents antérieures ?
Afin de prévenir au maximum des complications futures, il est important de planifier en amont et de ne pas se jeter directement sur son logiciel pour rédiger un devis, et ce même si c’est la demande du patient. En effet ces cas « complexes » nécessitent un examen approfondi et une analyse poussée afin d’établir un diagnostic complet qui permettra la réalisation d’un plan de traitement adapté à la situation clinique.
La clé de ce plan de traitement est la phase de diagnostic, c’est elle qui fait la différence entre le clinicien et le technicien et c’est la clé de la réussite du futur plan de traitement. Seul un diagnostic fiable permet un plan de traitement reproductible. Ne pas analyser convenablement la situation en amont c’est remettre son traitement au hasard ; parfois tout se passera bien, parfois non.
L’objectif de cet article est de vous présenter un outil que j’utilise au cabinet depuis plusieurs années dès que ce type de situation se présente. Cette fiche clinique est évidemment adaptable à la pratique de chacun.
Fig. 02 : Fiche clinique à remplir lors du premier entretien et du second rendez-vous dans l’optique de l’analyse du cas.
Entretien : antécédents, profil du patient
L’entretien commence dès la salle d’attente, avant même la première consultation, à l’aide d’un questionnaire de santé à remplir par le patient. Son âge, ses éventuels pathologies et/ou traitements médicamenteux doivent être pris en compte pour les futurs choix thérapeutiques. Ce questionnaire de santé peut être complété par un interrogatoire sur les antécédents bucco-dentaires du patient : traitements orthodontiques ou parodontaux par exemple. Il est également important de discuter de ces éventuels antécédents à l’oral. Il faudra porter une attention particulière à un échec antérieur pour en identifier la cause : parafonctions, problème d’hygiène, problème de diagnostic, de communication avec le praticien, et ce afin de ne pas le reproduire.
Fig.03 : L’état bucco-dentaire de ce patient met en évidence un problème d’hygiène associé à un manque de suivi. Il est nécessaire de lui expliquer l’importance de son implication avant de débuter tout traitement.
Il faut ensuite identifier le motif de consultation du patient : douleur, gêne fonctionnelle, demande esthétique… La douleur sera à traiter en priorité, mais les doléances du patient doivent toujours être gardées en tête. Il est fréquent qu’après une analyse longue et complexe, le praticien se focalise sur son objectif clinique et en oublie la demande initiale du patient.
L’entretien nous permet également de déterminer le profil du patient : sa disponibilité, mais aussi ses habitudes alimentaires et le soin apporté à son hygiène bucco-dentaire. La profession peut aussi avoir son importance sur la prévalence carieuse (métiers de bouche), les demandes esthétiques (patients au contact de public) ou fonctionnelles (musiciens, sportifs…). On questionne également le patient sur sa consommation de tabac, d’alcool, et de stupéfiants, et sur son ressenti personnel en matière de parafonctions. Il est nécessaire d’adapter le discours et les explications concernant le plan de traitement à la psychologie du patient afin d’obtenir une adhésion au plan de traitement la plus favorable à sa réussite possible.
On observe également le patient pendant l’entretien : ses mâchoires, son attitude et ses mains peuvent nous renseigner sur des habitudes néfastes en matière de parafonctions.
L’entretien informel est enfin le moment idéal pour analyser le sourire et le découvrement des dents lors de la phonation. Un schéma peut éventuellement être tracé sur la fiche clinique.
L’examen exo-buccal
Une fois l’entretien terminé, l’examen clinique commence par un examen exo-buccal de face puis de profil.
La symétrie du visage et les lignes remarquables sont des points très importants car elles vont déterminer les axes de référence qui serviront de guide à nos futures restaurations. L’angle naso-labial et l’aspect du profil peuvent, quant à eux, informer sur un éventuel problème squelettique.
En complément de l’examen visuel réalisé pendant l’entretien, il est possible de réaliser une palpation musculaire au niveau des masseters afin d’évaluer les parafonctions, ainsi qu’un examen du sourire plus complet.
L’analyse phonétique
Cette analyse fournit des informations sur l’usure des secteurs antérieurs maxillaires et sur l’espace disponible pour une éventuelle augmentation de la dimension verticale d’occlusion.
Les phonèmes F, M et I vont aider au positionnement des incisives centrales maxillaires et le S va permettre d’apprécier l’espace libre d’inocclusion ainsi que le mouvement mandibulaire lors de cette prononciation(1).
L’examen dentaire
Avant d’envisager un cas dans sa globalité, un contrôle de chaque dent de façon individuelle est nécessaire pour évaluer leur valeur intrinsèque. Les rotations, fractures, égressions, dyschromies, abrasions, abfractions, érosions sont autant d’éléments à notifier pour pouvoir déterminer la place de chacune des dents dans le futur plan de traitement.
Plutôt que de décrire et lister les dents à traiter une par une, je conseille plutôt une classification des dents par catégorie :
• dents absentes,
• dents à extraire d’emblée : écarter dès le premier examen les dents non conservables permet de simplifier l’analyse ultérieure,
• dents dépulpées : évaluation des traitements endodontiques en place,
• dents délabrées, lésions carieuses et soins défectueux : bilans biologiques pulpaires des dents concernées.
Des détails esthétiques pourront également être annotés : même si ce ne sont pas des critères médicaux à proprement parler, ils rentrent en compte dans l’analyse.
Fig. 04 & 05 : Dans le cas de cette patiente qui présente des malpositions, des couronnes mal ajustées, des soins disgracieux et une maladie parodontale, il est nécessaire de d’évaluer la valeur intrinsèque de chaque dent. Le bilan radiologique en téléradiographie intra-buccale permet d’affiner le pronostic de chacune d’entre elles.
Les examens des tissus mous et osseux
On recherche d’éventuels signes cliniques de maladie parodontale. La présence de plaque bactérienne, d’inflammation gingivale, de mobilités pathologiques ou encore de récessions gingivales doit être notée. Un sondage parodontal permet de mettre en évidence une maladie parodontale active en cas de saignement, et nous informe sur le niveau d’attache clinique. Néanmoins, une poche profonde ponctuelle peut parfois être le signe d’une fracture parfois non visible sur une simple radiographie rétro-alvéolaire. Ces analyses sont à compléter par un bilan long-cône afin de parfaire le diagnostic parodontal, bien que les mesures radiographiques sous-évaluent souvent l’étendue des pertes osseuses(2).
Ce bilan radiographique permet également d’affiner le choix des dents à conserver dans notre plan de traitement grâce à l’analyse du rapport « couronne clinique / racine clinique », c’est-à-dire « partie extra-osseuse / partie ancrée dans l’os » de la dent. Si ce rapport est trop faible, les forces mécaniques qui s’appliqueront sur la dent concernée seront trop importantes pour son support osseux. On considère généralement un rapport 1:1 comme étant le minimum acceptable(3).
En cas de réhabilitation esthétique, il est également important d’évaluer la position des collets, à fortiori si le patient découvre.
Dans les zones édentées, l’évaluation visuelle et la palpation des zones édentées permettent d’apprécier la qualité du support avant la mise en place d’un bridge ou d’un implant.
Les bilans occlusal et articulaire
L’analyse endo-buccale doit à la fois s’intéresser à l’occlusion statique et à la dynamique. Différents points doivent être enregistrés lors de ce bilan occlusal :
• le centrage : y a-t-il une différence entre l’occlusion d’intercuspidie maximale et l’occlusion en relation centrée ?
• le calage : les contacts sont-ils uniformément répartis ?
• le guidage : y a-t-il des prématurités ?
On note les éventuels inversés d’articulé, béances ou anomalies squelettiques.
Les courbes de Spee et de Wilson, destinées à obtenir une désocclusion fonctionelle lors des mouvements extrêmes, et ainsi protéger les articulations, doivent être observées afin de savoir s’il est nécessaire de les reconstruire ou non.
Fig. 06 : L’analyse des modèles met en évidence un surplomb augmenté ainsi qu’une courbe de Spee altérée.
Le diagramme de Farrar(4) permet d’étudier les mouvements mandibulaires, et ainsi de rechercher une atteinte précoce de l’articulation temporo-mandibulaire. C’est une représentation des déplacements du point inter-incisif mandibulaire, à partir de l’occlusion d’intercuspidie maximale, dans le plan frontal, pendant les mouvements d’ouverture-fermeture et pendant les mouvements de diduction. En cas de pathologie articulaire, un diagnostic précis doit être posé et pris en compte dans la suite de la prise en charge.
Enfin, on porte notre attention sur la dimension verticale d’occlusion : celle-ci est-elle normale ou modifiée ? Dans la plupart des cas, une perte de dimension verticale d’occlusion se traduit par une perte de calage à la fois antérieure et postérieure. Pourtant, il peut arriver que l’on observe une perte importante d’espace prothétique malgré la persistance de l’un de ces calages : il s’agit le plus souvent d’égressions compensatrices qui ont réduit l’espace disponible sans pour autant modifier la dimension verticale.
Fig. 07 : Malgré l’usure de ses dents, le patient présente toujours un calage antérieur. Les égressions qui ont compensé l’usure des dents ont créé un manque d’espace prothétique, nous obligeant à intégrer une augmentation de la dimension verticale d’occlusion dans nos propositions thérapeutiques.
Examens complémentaires
Pour compléter cet entretien et ces différents examens cliniques, des examens complémentaires doivent être réalisés. Une radiographie panoramique et un bilan radiologique long-cône sont effectués afin de compléter notre analyse clinique. Il est également nécessaire de réaliser un montage sur articulateur qui nous permet de poursuivre l’analyse occlusale même après le départ du patient. Un bilan photographique complet, endo-buccal et exo-buccal est également nécessaire.
Remarques
Ce bilan est long et je le réalise le plus souvent lors du second rendez-vous. C’est un moment d’échange avec le patient, afin de comprendre ses doléances et de lui faire comprendre son rôle dans le traitement. Ces échanges informels sont tout aussi intéressants que les données cliniques que nous recueillons, et une dernière case de la fiche clinique leur est dédiée. Par exemple, si le patient exprime une appréhension vis-à-vis d’une éventuelle chirurgie, il pourra être nécessaire de le rassurer lorsqu’on lui exposera nos différentes propositions.
Conclusion
Après avoir collecté toutes ces données, nous pouvons réaliser une analyse clinique poussée à tête reposée, sans avoir le patient en face qui attend son plan de traitement. Lors de cette analyse, on reprend la fiche clinique point par point pour être sûr de ne rien oublier et surtout pas le motif de consultation initial afin de le prendre en compte dans nos propositions thérapeutiques.
L’intérêt de ce bilan est de ne passer à côté d’aucune information avant de proposer l’éventail de solutions thérapeutiques à notre patient. C’est une étape qui peut paraître longue mais qui permet d’éviter des erreurs et donc des pertes de temps ultérieures.
Remerciements
Je remercie Dr. Constance Ambroise pour sa forte contribution à l’écriture de cette article.
Références bibliographiques
(1) Fradeani M, Liger F, Perelmuter S. Analyse esthétique: une approche systématique du traitement prothétique. Paris; Berlin; Chicago: Quintessence international; 2007.
(2) Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé (ANAES). Parodontopathies : diagnostic et traitements [Internet]. 2002.
(3) Shillingburg HT, éditeur. Fundamentals of fixed prosthodontics. 3rd ed. Chicago: Quintessence Pub. Co; 1997. 582 p.
(4) Orthlieb J.D, Manière-Ezvan A. Diagramme de Farrar. L’Information Dentaire. 2006;2522‑3.
1 commentaire au sujet de “Les réhabilitations occluso-fonctionnelles : approche diagnostique”
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Très bel exposé mais quid du bilan postural sans lequel rien n’est possible ?
Quand apprendra t’on dans les facultés qu’un dentiste ne soigne pas des dents mais qu’il soigne un être humain et que la bouche ne peut absolument pas être séparée du reste du corps ?
Si ces patients ont abrasé leurs dents, ce n’est pas sans raison.
Je me tiens à votre disposition pour vous expliquer ça en détail, et ce n’est pas de la “médecine douce” mais de la médecine d’hyper pointe avec toutes ses références bibliographiques.
Confraternellement
JP Rousseau