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Dentisterie orthodoxe versus compromis thérapeutiques

Par Michel ABBOU le 12-04-2021
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Cet article aborde la notion de compromis thérapeutique en implantologie ; cette notion est discutée sur le plan sémantique ainsi que sur le plan clinique en se focalisant sur la thématique implants courts et prothèses mixtes.

 

Ceux que nous nommions implants courts dans les années 90 mesuraient 8 ou 10 mm de long. Une époque où il était de bon ton de poser des implants aussi longs que possible, voire aussi larges que possible également (zones molaires), dans les limites anatomiques du site osseux concerné.

Bien des choses ont changé en termes de concepts implanto-prothétiques ; de même que notre arsenal implantaire s’est aussi enrichi d’implants ultra-courts : 4, 5, 6 et 7 mm de longueur selon les fabricants et fournisseurs.

 

Les implants courts souffrent en général d’un déficit d’image auprès des praticiens :
• D’une part parce que ces derniers sont souvent encore « formatés » par le dogme du fameux rapport racine/couronne qui a été institué à une époque où nous ne disposions pas d’études sur la question… par des enseignants qui n’avaient eux-mêmes aucun recul en la matière : lorsque je posais la question à l’un d’entre eux (professeur émérite) « mais sur quoi t’appuies-tu pour affirmer une telle équation ? ». Il me répondait – avec un petit sourire en coin – « sur le mur ».
• D’autre part du fait – celui-là avéré – que le pronostic d’un implant court est fatalement moins bon que celui d’un implant long puisque chaque millimètre d’os perdu est plus conséquent mathématiquement et biologiquement parlant.

 

Pour autant, les études ont fleuri de par le monde, réalisées par des praticiens relatant leur vraie expérience de la question(1), encourageant ainsi des fabricants de plus en plus nombreux à proposer ces implants courts. À l’instar des implants zygomatiques, les implants courts ont ainsi trouvé leur place au sein de notre arsenal thérapeutique : ils relèvent des arguments de l’implantologie mini-invasive(2), en alternative notamment aux solutions thérapeutiques impliquant des greffes d’augmentation osseuse. 
Même si je pratique volontiers ces greffes osseuses, tant en zones antérieures que postérieures, mes propositions thérapeutiques aux patients comprennent quasi-systématiquement l’alternative minimalement invasive lorsque j’estime que cette dernière est pertinente.

 

Tout comme je m’en offusquais en 2016(3), j’avoue ma stupéfaction devant la position majoritairement hostile de mes consœurs et confrères dans ce domaine… C’est en tous cas ce que j’observe à travers les posts qui pullulent sur nos réseaux sociaux professionnels. Et c’est notamment sur ces réseaux que j’ai récemment été interpellé par des praticiens qui me reprochaient non seulement le recours aux implants courts mais aussi aux liaisons dents-implants à propos de cas cliniques et d’un protocole thérapeutique que je publiais (Fig. 1 et 2). Les interpellations réprobatrices en question émanent de praticiens membres de groupes non spécifiques tandis que les membres de groupes spécialisés en implantologie applaudissent volontiers ces mêmes cas cliniques !

 

« Toute vérité passe par trois étapes, d’abord elle est ridiculisée, ensuite elle est violemment combattue et enfin elle est acceptée comme une évidence » – Arthur Schopenhauer.

 

Figure-1-Dentoscope

Fig. 1 – Ce cas clinique, publié dans LE DENTOSCOPE de janvier 2021, illustre un « double compromis thérapeutique » : le recours à un implant court en zone maxillaire postérieure d’une part, et la liaison dent-implant d’autre part… Mais peut-on effectivement évoquer la terminologie de compromis quand on sait que la validité thérapeutique de ces deux moyens est parfaitement étayée dans la littérature scientifique internationale ?

 

Figure-2-Radios

Fig. 2 – Et quid de la restauration au maxillaire gauche (même patiente) que d’aucuns qualifieront volontiers de compromis thérapeutique (trop) audacieux ? Certes, je l’admets bien volontiers… Pour autant, ce compromis est-il moins acceptable que les bridges de longue portée sur piliers naturels tels qu’enseignés dans nos facultés depuis si longtemps(5) et donc plus volontiers admis par la doxa universitaire ?

 

Il n’empêche que – nonobstant la pensée insondable de la majorité silencieuse – le verdict de nos réseaux sociaux non spécialisés sera encore défavorable quant à la façon dont a été menée cette réhabilitation prothétique !… Et peu leur importe de savoir que les protagonistes concernés (la patiente et son praticien traitant) sont, de leur côté, parfaitement satisfaits.

 

Les commentaires négatifs et vilipendeurs n’ont pas manqué non plus au sujet des réalisations illustrées en figure 3. Ils sont un reflet fidèle du profil des praticiens qui interviennent régulièrement sur les réseaux sociaux en essayant d’institutionnaliser(3) ce qu’ils estiment relever de la dentisterie orthodoxe (que je qualifie personnellement de dentisterie conservatrice, au sens politique du terme) et de rejeter la dentisterie audacieuse (que j’entends progressiste si elle est bien argumentée).

 

Figure-3-Minimale-Invasive-Attitude

Fig. 3 – Où se situe le curseur du compromis thérapeutique… Dans le maintien à outrance de cette molaire maxillaire à force d’assainissements récurrents ou dans son remplacement fonctionnellement avantageux par un bridge sur implants selon une approche minimalement invasive hélas non encore admise par une majorité de praticiens ?
Retrouvez l’article sur la minimale invasive attitude en implantologie, ici.

 

Pourtant, si l’on y réfléchit avec le recul établi, c’est bien à l’audace de l’École suédoise(4) que nous devons un des grands bouleversements de la dentisterie depuis le milieu des années 80… Alors que cette avancée n’avait pas manqué d’être critiquée voire diabolisée par les tenants de la dentisterie conservatrice ! Ces derniers ont parfois mis de nombreuses années avant d’admettre leur erreur d’appréciation… Et l’on mesure la gravité des conséquences quand certains d’entre eux jouissaient d’un statut de professeur, générant ainsi plusieurs promotions d’étudiants devenus praticiens mal formatés entre temps(5) !

 

Ainsi, l’orthodoxie thérapeutique relève souvent non forcément de la rigueur du soignant, mais d’un refuge de ce dernier derrière le rempart des données dites acquises de la science et de la doxa universitaire. Si l’on y réfléchit bien, encore une fois, c’est pourtant cette même orthodoxie qui nous a fait admettre de réaliser depuis des lustres, et sans sourcilier :
• Des prothèses adjointes partielles et totales… Qui n’ont rien de physiologique, mais qui témoignent simplement de notre incapacité à proposer d’autres traitements prothétiques plus acceptables pour le patient.
• Des bridges collés ou classiques pour remplacer des dents absentes, alors que nous savons pertinemment que ces supports supplétifs vont inéluctablement souffrir de surcharges hors nature… surtout quand les bridges en question sont de longue portée !

 

Que penser enfin de ces praticiens qui n’hésitent pas à mettre en œuvre les deux schémas prothétiques ci-dessus dans le cadre de leur exercice et qui se disent choqués parallèlement des constructions prothétiques fixes mêlant dents et implants, au prétexte que ces deux entités ne jouissent pas de la même mobilité physiologique de par la nature différentes de leurs relation au support osseux sous-jacent ? Les études et rapports cliniques favorables en la matière ne manquent pourtant pas(6, 7)… Mais le dogme est bien ancré, hélas.

 

Comme je l’écrivais récemment(8), si j’ai appris à soigner selon les critères qui m’ont valu l’obtention de mon doctorat en 1981, j’ai très vite compris que la bonne santé de mes patients relevait d’un abord plus critique et moins scolaire de ma part, me poussant ainsi à adopter un comportement progressiste basé sur mon bon sens clinique(3). C’est ce dernier qui m’a valu d’avoir la chance de figurer parmi les pionniers de l’implantologie ostéointégrée en France et de mettre en œuvre un exercice paro-implanto-conscient fondé sur l’efficacité clinique telle qu’enseignée et défendue dans les années 90 par l’équipe de l’APCI de Tonnerre.

 

De même que Monsieur Jourdain (de Molière) faisait de la prose sans le savoir, les critiqueurs intégristes auxquels je faisais allusion au début de cet article semblent ignorer qu’ils sont enlisés dans le compromis thérapeutique depuis toujours… Compromis qu’il tienne pour « vertueux » puisqu’il émane de leur enseignement universitaire. Tandis que ceux qu’ils accusent au mieux de « fantaisistes » et au pire de « charlatans » ont choisi de s’inscrire dans la volonté d’une efficacité thérapeutique qui relève de l’Evidence-Based Dentistry(9) d’une part et/ou de l’indice OHIP14(10) d’autre part.

À bon entendeur…

 

Références bibliographiques :

(1) A. Ravidà, S. Barootchi, H. Askar, F. Suárez-López Del Amo, L. Tavelli, H-L. Wang – Long-Term Effectiveness of Extra-Short (≤ 6 mm) Dental Implants: A Systematic Review
Int J Oral Maxillofac Implants, Jan/Feb 2019 ; 34 (1) : 68-84

(2) M. Abbou La minimale invasive attitude en implantologie
Paroles d’experts du 24-06-2020 sur Dentalespace.com

(3) M. Abbou – Le bon sens clinique envers et contre les dogmes institutionnels
Dentoscope n° 168, Nov 2016 ; 12-26 – éditions EdP dentaire

(4) P-I. Branemark, G-A. Zarb, T. Albrektson – Tissue-integrated prostheses: Osseointegration in clinical dentistry.
J Prosth Dent, 1985 ;54 (4) : 611-612

(5) P. Safar, C. Touboul – L’histoire clinique, hommage à J-C HARTER « Pourquoi j’ai jeté mon iconographie clinique aux oubliettes »
JSOP, Fev. 2009 ; 26-27

(6) J. Liberman, G. Gardon-Mollard, H. BerdugoConnecter implants et dents naturelles : la réponse des experts.
Paroles d’Experts du 16-03-2017 sur Dentalespace.com

(7) G. La Monaca, N. Pranno, S. Annibali, C. Massimo, A. Polimeni, R. Patini, M.-P. CristalliSurvival and complications rates of tooth-implant versus freestanding implant supporting fixed partial prosthesis : a systematic reviw and meta-analysis.
J Prosthodont Res, 2021 Feb 24 ; 65 (1) : 1-10

(8) M. Abbou – Prothèses fixées sur dents et implants : proposition et justification d’un protocole original
Dentoscope n° 230, Janv 2021 ; 16-23 – Éditions EdP dentaire PARRESIA

(9) F. Chiapelli Evidence-Based Dentistry: Two Decades and Beyond
J Evidence Based Dental Practice, March 2019 ; 19 (1) : 7-16

(10) G. D. Slade, A. John Spencer – Development and evaluation of the Oral Health Impact Profile
Community Dental Health, 1994 Mar ; 11 (1) : 3-11

 


 

FicheAuteur

Michel Abbou
– Exercice privé à Paris 75008
– Fondateur et directeur scientifique de SICTmieux depuis 2013.

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