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Implantations immédiates avec prothèses fixes immédiates en zones molaires

Par Michel ABBOU le 05-01-2021
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Implantations immédiates avec prothèses fixes immédiates en zones molaires

 

Depuis l’avènement de l’implantologie ostéointégrée grâce à l’Ecole suédoise(1), nous n’avons eu de cesse de modifier les protocoles initiaux érigés comme préceptes intransgressibles par les pères fondateurs. Je reconnais volontiers faire partie des praticiens à la fois reconnaissants envers P-I Bränemark & Coll. mais aussi frondeurs, au point de s’essayer depuis longtemps à des protocoles non solennellement admis par la doxa scientifique officielle(2). Je frondais allégrement à l’époque de ma jeunesse pionnière et de mes fonctions hospitalo-universitaires. Ceux qui me connaissent bien savent que je persiste dans l’audace clinique encore aujourd’hui dans le cadre de mon activité privée libérale ; la différence est que ma fronde de jeunesse s’appuyait sur mes seules convictions, parfois partagées par certains de mes collègues et encouragées par mes chefs de service, alors qu’aujourd’hui elle est essentiellement confortée par mon expérience et mon désir de satisfaire au mieux mes patients.

 

Les procédures d’extractions-implantations immédiates sont certes souvent délicates ; mais nous en avons une expérience et un recul suffisants aujourd’hui pour qu’elles soient scientifiquement reconnues comme fiables dans la littérature internationale(3, 4) ainsi que par la majorité des experts judiciaires en odontostomatologie(5). Nous n’en sommes pas encore à ce stade de reconnaissance quand la procédure est complétée par une mise en place prothétique immédiate. Cette dernière ne se contente pas en effet de compliquer et rallonger le temps opératoire : elle fait peser sur le comportement du patient une coresponsabilité en termes de résultat et de pronostic thérapeutique. Mais en s’appuyant sur l’expérience d’une part, une bonne logistique d’autre part ainsi que sur les progrès dont nous fait bénéficier l’ingénierie implantaire, nous parvenons aujourd’hui à des performances cliniques dont on osait à peine rêver dans les années 80(6).

 

Il convient à ce stade de préciser certaines notions ou expressions qui peuvent prêter à confusion tant dans la littérature clinique française qu’à l’international :

1- Il n’est pas discuté que la sollicitation mécanique précoce d’un implant unitaire fraichement posé soit susceptible de nuire à son ostéointégration(7) ; ce qui est éventuellement discutable (et discuté), c’est la période nécessaire et suffisante d’attente (selon les paramètres et circonstances d’insertion de l’implant) pour obtenir une ostéointégration cliniquement acceptable.

2- Il ne faut pas confondre la mise en fonction d’un implant et sa mise en charge : la mise en fonction correspond au deuxième stade chirurgical des anglo-saxons(8) ; encore appelé activation par certains ou désenfouissement par d’autres, il s’agit d’une intervention chirurgicale permettant l’accès à l’implant qui aura été installé en mode enfoui (sous la gencive) au premier stade chirurgical. La mise en charge, elle, est une action prothétique.

3- Il existe deux types de « mise en charge » sur implant unitaire : la première consiste en la pose d’une prothèse fixe et fonctionnelle (« functional loading » des anglo-saxons), la seconde est également matérialisée par la pose d’une prothèse fixe connectée à l’implant, mais à visée non fonctionnelle (« non-functional loading ») : on parle alors de « mise en esthétique immédiate » ou de « pseudo-mise en charge », voire de « mise en condition prothétique ».

 

Compte tenu de ces rappels cliniques et sémantiques, on peut comprendre aisément :

L’intérêt d’une mise en esthétique immédiate dans le secteur antérieur(9)
La faisabilité d’une pseudo mise en charge immédiate dans le cadre de restauration plurales, voire complètes : le confort d’une part et des recommandations appropriées aux patients d’autre part contribuent à la validité de cette démarche clinique qui a fait ses preuves(10, 11, 12)… Nonobstant que ces protocoles restent délicats en termes de mise en œuvre et de suivi d’une part et que les études cliniques qui attestent de leur pertinence en termes de taux de succès thérapeutiques sont le plus souvent entreprises par des praticiens chevronnés dont le profil ne reflète pas le profil de la majorité des praticiens en exercice(11) !

 

Je suis particulièrement dubitatif sur la question dès qu’il s’agit de restaurations unitaires au niveau molaire. En effet, l’exposition esthétique y est relativement faible et la fonction y est prohibée pendant la période d’ostéointégration… Il n’en demeure pas moins que l’on recense des études qui font état de résultats a priori encourageants(13, 14, 15, 16) en la matière, ce qui ne manque pas de susciter ma curiosité et de pousser à l’analyse.

 

Comment peut-on justifier le recours à une prothèse unitaire immédiate en zone molaire ?

1- Cela peut faire partie des doléances du patient en termes d’esthétique. Il revient alors au praticien responsable d’expliquer les risques afférents à une telle approche et il est en général assez aisé de dissuader le patient sur ce terrain.

2- Cela peut relever du goût du risque du praticien avec la tentation des deux protagonistes de braver l’interdit scientifique, mais la situation peut tourner vinaigre très rapidement en cas d’échec et de plainte du patient, si ces choses ne sont pas entreprises dans un cadre rigoureux d’étude clinique au sein d’un établissement hospitalo-universitaire et avec signature d’un consentement parfaitement éclairé sur ces circonstances.

3- Il existe une troisième voie, à type de compromis, dont on doit l’originalité à deux jeunes praticiens français aussi talentueux qu’audacieux : Gary Finelle et Antoine Popelut ont mis au point et publié le protocole SSA(17, 18) qui consiste en une réalisation prothétique immédiate ou quasi-immédiate dans la foulée de l’extraction-implantation-immédiate en zone molaire. L’intérêt est celui d’une mise en fonction immédiate (le fameux « 1 temps opératoire » proposé par l’école suisse ITI au début des années 90) doublé du formatage du berceau gingival de la future prothèse sur implant. Une plateforme en résine est ainsi conçue selon un design optimisé pour guider au mieux la cicatrisation gingivale péri-implantaire ; elle est donc transvissée sur l’implant immédiat de la même manière que le serait une couronne provisoire immédiate… Mais sans la composante fonctionnelle de cette dernière (Fig. 01).

 

Technique-SSA

Fig. 01 : transition prothétique provisoire type SSA.

 

Même si j’apprécie la démarche de Gary Finelle et si je suis de près les publications sur cette jeune technique, je n’y suis pas vraiment favorable et je m’en explique :

Il s’agit en fait d’un protocole de mise en fonction directe, à la différence qu’en lieu et place de la vise de cicatrisation, on installe une plateforme en résine designée sur mesure ;

Outre le fait d’augmenter et de complexifier le temps opératoire, on peut légitimement s’interroger sur sa pertinence clinique ; en effet, si la mise en fonction directe a fait la preuve de sa validité au travers de nombreuses études cliniques publiées depuis longtemps(19), ces études concernaient le recours à des vis de cicatrisation (faible diamètre) avec des recommandations aux patients pour éviter notamment de solliciter les zones concernées en phase de mastication. Cet évitement est d’autant plus facile à observer que la vis de cicatrisation ne protège pas la gencive périphérique qui reste donc perçue comme une zone d’inconfort par le patient pendant qu’il mange. En revanche, la protection quasi-totale de cette gencive par la plateforme prothétique transvissée est susceptible de contribuer à l’oubli par le patient qu’il s’agit d’une zone d’évitement masticatoire… Ce qui augmente derechef le risque de sollicitations intempestives.

• Par ailleurs, le but affiché de cette manœuvre est la préparation anatomique du lit receveur de la future prothèse fixe ; le « profil naturel » ainsi obtenu est indiscutable, mais est-il nécessaire en zone molaire ? Pour ceux qui pensent que la réponse est oui, pourquoi ne pas prendre le temps d’y travailler (sans risque) une fois que l’implant est ostéointégré comme nous savons le faire depuis longtemps(20) (Fig. 02) ?

• Tout au long de ma vie professionnelle, je me suis vu critiquer mon audace clinique et il n’est donc pas dans mes intentions de jeter l’opprobre sur cette crâne approche technique. Je reconnais cependant que, dans la logique du raisonnement explicité ci-dessus, mon habituelle appétence de frondeur ne m’incline pourtant pas à souscrire à la technique SSA dans le cadre de mon exercice privé. Peut-être que je changerai d’avis quand nous disposerons d’études longitudinales et multicentriques clairement favorables à ce protocole…

 

Figure-2

Fig. 02 : le formatage du lit receveur de la prothèse sur implant(20), si nécessaire, peut être entrepris au stade de la mise en fonction différée ou encore juste avant la prothèse définitive, sans risque pour l’implant.

 

Alors que penser de tout cela ?

Même si certaines études rapportent des résultats satisfaisants à courts/moyens termes sur les mises en en charges immédiates unitaires en zones molaires, les méta-analyses de la littérature mettent surtout en exergue des protocoles d’études disparates et peu clairs, ainsi que les faibles nombres de cas étudiés et les trop courtes durées de suivi(21, 22).

 

Les méta-analyses en question ont écarté un grand nombre d’études estimées « pas assez fiables ou avec conflits d’intérêts susceptibles de fausser les données statistiques étudiées ». Pour le reste cependant, elles relèvent une absence de différences significatives des résultats en comparant les protocoles prothétiques provisoires immédiats (avant ostéointégration) et tardifs (après ostéointégration). Si on ne retient que cela, il faut alors s’interroger sur le POURQUOI du refus de la grande majorité des implantologues de recourir à ces prothèses provisoires unitaires immédiates en zones postérieures… À tel point que tous les praticiens que j’ai contactés pour disserter sur la question m’ont avoué ne pas s’aventurer sur ce terrain clinique dans leur pratique privée !

 

Pour ma part, je ne m’investis cliniquement dans des restaurations provisoires immédiates sur implants postérieurs qu’en cas d’exigences particulières, exceptionnelles, (Fig. 03) et à la quadruple condition :
• De ne pas pouvoir proposer un dispositif provisoire plus approprié ;
• De relier ces restaurations entre elles ou avec des ancrages de proximité fiables pour minimiser les risques liés à des sollicitations intempestives pendant la phase d’ostéointégration ;
• De m’assurer de la parfaite compréhension et coopération du patient pour éviter toute sollicitation fonctionnelle ou parafonctionnelle ;
• D’être en mesure d’assurer un suivi plus rapproché que d’ordinaire.

… Autant dire la rareté des situations cliniques qui répondent à tous les critères pour prétendre à un tel recours !

 

Figure-3-Montage-Abbou

Fig. 03 : vedette de la chanson, pour laquelle il a été entrepris une triple EII 24-25-26 avec mise en esthétique immédiate (non-functional loading) tout en s’assurant des meilleures conditions de sécurité et de prévention pour que la prise de risque soit minimale.

 

Références bibliographiques :

(1) Albrektsson T, Brånemark PI, Hansson HA, Lindström J. – Osseointegrated titanium implants. Requirements for ensuring a long-lasting, direct bone-to-implant anchorage in man.
Acta Orthop Scand. 1981 ; 52(2) : 155–170.

(2) Abbou M – Le bon sens clinique envers et contre les dogmes institutionnels.
Dentoscope n° 168, Nov 2016 ; 12-26 – éditions EdP dentaire.

(3) Hammerle CH, Chen ST, Wilson TG – Consensus Statements and recommended clinical procedures regarding the placement of implants in extraction sockets.
Int J Oral Maxillofac. Impl. 2004 ; 19 : 26-28.

(4) Abbou M – Extractions-implantations immédiates en zones postérieures.
Dentalespace.com – Paroles d’experts 08-01-2019.

(5) Missika P – Une photographie de l’implantologie en France.
Éditorial AO News n°22, dossier spécial implantologie Nov. 2018.

(6) Abbou M – New Sensations with Latest Implant Generations Allowing High Performance Strategies in Oral Implantology.
Periodontics and Prosthodontics Journal, 2016 ; 3(17) : 1-13.

(7) Bidez MW, Misch CE – Issues in bone mechanics related to oral implants.
Implant Dentistry, 01 Janv. 1992 ; 1 (4) : 289-294.

(8) Abbou M – Stage-two Surgery for Dental Implants: Overview and Relevance of Advanced Procedures.
Journal of Clinical Research in Dentistry ; 2020 (3) 2 (accepted for publication).

(9) Abbou M – Extraction-implantation immédiate : mieux ou moins bien en zone esthétique ?
Dentalespace.com – Paroles d’experts 02-11-2016.

(10) Tarnow DP, Emtiaz S, Classi A – Immediate loading of threaded implants at stage 1 surgery in edentulous arches: ten consecutive case reports with 1- to 5-year data.
Int J Oral Maxillofac Implants, 1997 ; 12 : 319-324.

(11) Ganeles J, Wismijer D – Early immediately restored and loaded dental implants for single-tooth and partial-arch applications.
Int J Oral Maxillofac Implants. 2004 ; 19(Suppl.) : 92-102.

(12) Abbou M – ALL ON FOUR… NOT FOR ALL patients and practitioners.
Dentalespace.com – Paroles d’experts 09-04-2019.

(13) Abboud M, Koeck B, Stark H, Wahl G, Paillon R – Immediate loading of single-tooth implants in the posterior region.
Int J Oral Maxillofac Implants. 2005 Jan-Feb ; 20(1) : 61-68.

(14) Ganeles J, Zöllner A, Jackowski J, Bruggenkate CT, Beagle J, Guerra F – Immediate and early loading of Straumann implants with a chemically modified surface (SLActive) in the posterior mandible and maxilla: 1‐year results from a prospective multicenter study.
Clinical Oral Implant Research, 16 Oct. 2008.

(15) Mangano C, Raes F, Lenzi C, Eccellente T, Ortolani M, Luongo G, Mangano F, – Immediate Loading of Single Implants: A 2-Year Prospective Multicenter Study.
International Journal of Periodontics & Restorative Dentistry, 2017, 37 (1): 69-78.

(16) Wang J, Lerman G, BITTNER N, Fan W, Lalla E, Papapanou PN Immediate versus delayed temporization at posterior single implant sites: A randomized controlled trial.
Journal of Clinical Periodontology, Oct. 2020; 47 (10): 1281-1291.

(17) Finelle G, Popelut A Protocole d’extraction implantation immédiate : intérêt de l’utilisation de piliers de cicatrisation anatomique conçus par CFAO (Pilier SSA).
Journal de Parodontologie et d’Implantologie Orale (4), 01-11-2016.

(18) Finelle G Technique SSA « All in 3 ».
Dentalespace.com ; 25-09-2018.

(19) Weber HP, Buser DA, WEINGART D – The ITI Dental Implant System.
Craniomaxillofacial Reconstructive and Corrective Bone Surgery Springer, New York: 138-154

(20) Abbou M – Emergences implanto-prothétiques en zone esthétique : alternatives cliniques au stade prothétique.
Alternatives Esthétiques Quintessence International, 2001 ; 9 : 53-64.

(21) Atieh MA, Atieh AH, Payne AGT, Duncan WJ – Immediate Loading with Single Implant Crowns: A Systematic Review and Meta-analysis.
The International Journal of Prosthodontics, 2009 ; Quintessence Publishing : 378-387.

(22) Moraschini V, Porto Barboza E – Immediate versus conventional loaded single implants in the posterior mandible: a meta-analysis of randomized controlled trials.
International Journal of Oral & Maxillofacial Surgery, 2016; 45 (1): 85-92.

 


 

FicheAuteur

Michel Abbou
– Exercice privé à Paris 75008
– Fondateur et directeur scientifique de SICTmieux depuis 2013.

Ses formations

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