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Implantologie – De l’enseignement à la pratique… Le bon grain et l’ivraie

Par Michel ABBOU le 29-05-2018
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TRIPLE INTERVIEW CROISÉE SUR L’IMPLANTOLOGIE

De l’enseignement à l’exercice de cette discipline, les pratiques ont bien changé ces dernières années. La sinistralité liée à l’implantologie est aussi en nette augmentation, avec des règles et tarifs d’assurances qui diffèrent en termes d’exigibilité, selon que les praticiens réalisent la chirurgie implantaire et les greffes sinusiennes ou ne s’impliquent que dans les phases prothétiques… Lesquelles étant par ailleurs souvent mises en cause dans les échecs thérapeutiques !

Dans le cadre de la rubrique PAROLES D’EXPERTS, Michel Abbou revient sur cette évolution et les perspectives d’avenir en sollicitant l’analyse de 3 personnalités qui répondent ici à 3 questions précises en la matière…


ABBOU

 

Dr Michel ABBOU
Ex-enseignant aux DU d’implantologie de Paris VII et de Corté
Directeur scientifique de Si-Ct Mieux

 

Je me considère depuis longtemps comme un praticien chanceux. Chanceux parce que j’ai vécu en direct – et aux premières loges – la révolution thérapeutique portée par l’avènement de l’implantologie ostéointégrée au milieu des années 80… Tant et si bien qu’elle s’est inscrite dans mon ADN de jeune praticien. Cette nouvelle discipline nous avait été servie sur un plateau d’argent par l’Ecole Suédoise (1)… Avec un recul de plus de 15 ans sur les protocoles thérapeutiques proposés ! J’ai déjà eu l’occasion d’exprimer les paramètres de ce contexte particulier et j’y reviens aujourd’hui car force est de constater :

  • Que cette « spécialité », autrefois réservée à une « élite » investie et progressiste, s’est largement démocratisée au sein de la profession ;
  • Que l’accès à la pratique implantaire effective fait moins peur qu’autrefois, au point d’inviter nombre de praticiens à s’y lancer sans formation spécifique préalable ;
  • Que les formations professionnelles se multiplient (certificats, attestations, DU…) avec un contrôle faiblement réglementé de l’aptitude des enseignants ainsi que du contenu des enseignements et de leurs efficacités respectives… Un constat confirmé par les résultats de l’étude espagnole de SANCHEZ-GARCES & coll. publiée en 2017 (2) ;
  • Que les systèmes implantaires suivent un même rythme de multiplication, accru par l’apparition de systèmes se déclinant clairement comme « génériques » (3) ;
  • Que le « flux numérique » représente certainement la nouvelle révolution en cours de notre exercice de thérapeutes d’une part, mais semble également prendre une place grandissante dans la diffusion des connaissances : on observe ainsi l’émergence de programmes d’enseignement complets en « e-learning » (4) et de programmes modulaires (5-6)… Dont certains sont proposés par des « organismes agréés » permettant une prise en charge financière à 100 % (7) !

 

… Est-ce que ces constats renferment des liens de « causes à effets » ?… Ou sont-ils finalement indépendants les uns des autres avec un effet cumulatif dans l’appréciation :

  • Des échecs thérapeutiques de plus en plus objectivés et formulés en la matière (8-9) ;
  • Des sinistres en implantologie qui occupent une place croissante au sein de la masse des conflits répertoriés entre patients et praticiens (9) ;

 

Il est difficile de faire la part des choses et souvent bien tentant de jeter le bébé avec l’eau du bain. Pour ma part, je me suis déjà penché en partie sur cette problématique à travers mon propre parcours via une publication en 2016 (10). Mais tout va très vite, et j’ai voulu aujourd’hui solliciter l’avis éclairé d’autres praticiens-enseignants en leur demandant de prendre de la hauteur pour réfléchir et répondre à 3 questions permettant de tirer les meilleures conclusions sur cette thématique. Vous trouverez ci-dessous les 3 réponses à cette triple interview croisée.


QUESTION 1 –
Qu’est-ce qui a changé en implantologie ces 10 dernières années ?

Frédérick GAULTIER… Les progrès de l’imagerie médicale, couplés à la croissance exponentielle de la puissance de calcul des microprocesseurs, ont chamboulé le paysage de l’implantologie orale.
La démocratisation de ces technologies est allée de pair avec celle de l’implantologie, dont la vulgarisation accompagne depuis 10 ans un besoin croissant au sein de la population, praticiens et patients confondus.
Longtemps confiné aux mains de spécialistes, l’exercice de l’implantologie a, sous l’impulsion des industriels, combiné à la révolution digitale, opéré une mue permettant un développement sans précédent.

Carole LECONTE… Tout d’abord, il me semble qu’avec l’augmentation de la pratique, l’esprit critique s’est également développé, ce qui me semble très positif. Mais en même temps, on trouve de tout, dont des dérives avec des modes d’exercices anti-qualitatifs très inquiétants.
La sur-proposition de formations me semble aussi être représentative de notre époque actuelle… avec en parallèle une forme de redondance qui finit par désintéresser nos confrères.
Puis, parmi les autres changements dans la décennie, je trouve que, à travers leur impact, on peut noter l’explosion du nombre de sociétés d’implants et le bouleversement des majors.
Pour finir, et pour faire écho à la journée que j’ai eu le plaisir de partager avec Michel Abbou (11) : la problématique complexe des péri-implantites qui devrait concentrer notre attention.

Pascal VALENTINI… Au début des années 80, à la lecture des publications de Bränemark, un sentiment de progrès décisif a envahi la profession. Plus rien ne serait comme avant. Il était possible d’avoir une troisième dentition. Rapidement, des techniques de reconstruction de zones atrophiques ont vu le jour, de nouveaux états de surface ont permis de réduire la période d’ostéointégration de manière significative, les nouvelles technologies ont démystifié certains actes. Malgré cela, les publications et les communications faisant état de complications sont de plus en plus nombreuses. Parmi elles, les infections peri-implantaires sont les plus citées… Elles constituent le nouveau défi.


QUESTION 2 –
Quels sont les défis à relever pour la jeune génération ?

Frédérick GAULTIER… L’outil digital fait d’ores et déjà partie du quotidien des jeunes praticiens. Le réel défi consiste à écrire l’avenir de la profession en proposant des modes d’exercice qui intégreront la robotique et la planification informatique médiée par l’intelligence artificielle. Quid de la place du chirurgien-dentiste, ouvrier spécialisé ou prescripteur ? Il s’agit d’un choix de société qui déterminera la médecine de demain.

Carole LECONTE… La préservation : quand extraire ou ne pas extraire ! Je regrette de voir encore trop souvent des options thérapeutiques radicales qui ne s’intéressent pas aux causes et qui misent tout sur l’élimination de dents qui bien souvent seraient à conserver. Retour au fondamental : occluso, paro, anatomie, respect de la biologie et psychologie… Il est capital de renforcer également l’approche proactive de notre discipline, et de la raccorder à toutes les autres branches de notre art… Rien n’est indépendant, et seule une connaissance et thérapeutique globale peut espérer nous orienter vers des plans de traitements qui tiennent la route. Ne pas oublier de garder du doute dans les certitudes, de faire avancer/progresser et de mettre l’humain en avant. 

Pascal VALENTINI… Avant tout, elle devra prendre en charge les patients que nous avons traités dans l’euphorie au cours des trente dernières années. Ces patients, nous les avons convaincus parce que nous l’étions nous-mêmes, qu’ils auraient des dents pour le restant de leur vie. La jeune génération va devoir identifier de façon exhaustive les facteurs de risque des maladies peri-implantaires afin de définir de nouvelles contre-indications, tout en comprenant mieux la biologie pour mieux la respecter et ne pas attendre d’elle plus que ce qu’elle peut donner.


QUESTION 3 –
Quid des formes actuelles d’enseignement et comment doivent-elles évoluer ?

Frédérick GAULTIER… La profession me semble très dynamique sur ce sujet. Il suffit de passer nos frontières pour constater que la dentisterie française est reconnue internationalement pour la qualité de ses praticiens et de ses universités. L’offre de formation privée est par ailleurs pléthorique et qualitative. La création d’une spécialité de chirurgie orale a été une étape décisive dont toute la profession profite. Nos praticiens DESCO proposent aujourd’hui une activité chirurgicale et une approche médicale sans équivalent. Les étudiants qui ont choisi de ne pas passer l’internat ne sont pas en reste. L’implantologie est une compétence ouverte à tous à l’hôpital, mais également lors d’enseignements universitaires comme celui que je propose.
Certains souhaitent approfondir leur connaissance, améliorer leur pratique et s’inscrivent à un diplôme universitaire d’implantologie, dont celui que je dirige à Paris Descartes.
Il faut distinguer l’accès à la connaissance, aujourd’hui ouverte à tous, de l’apprentissage, qui est un processus éducatif impératif à la structuration des savoirs. C’est la place de l’enseignement, dont le médium peut être physique ou dématérialisé via des supports numériques, des webinars…
Je reste néanmoins sceptique, force est de constater que la place de l’humain dans le processus éducatif tient encore un rôle crucial. L’apprentissage de la chirurgie est un processus dont le compagnonnage est un rouage indispensable à la transmission des savoirs.

Carole LECONTE… Il y a tant de formes différentes et d’approches différentes que je ne me permettrai pas de critiquer. Mais comme direction, il me semble capital de continuer à permettre le progrès, l’analyse, renforcer les moyens universitaires pour réaliser des études neutres pour valider, invalider, faire progresser. Le compagnonnage me semble essentiel, tout comme le fait de ne plus retenir de savoir. Comme le dit Idriss Aberkane, le savoir est la seule chose qui n’appauvrit pas celui qui le donne et enrichit celui qui le reçoit. Je nous souhaite le respect, les valeurs, et la générosité… qui se nourrissent dès l’enseignement, lequel donne le ton pour tout notre exercice.

Pascal VALENTINI… Bränemark a attendu 20 ans avant de publier ses résultats. Aujourd’hui il y a pléthore de systèmes implantaires, de techniques, de biomatériaux, avec une documentation scientifique souvent inversement proportionnelle à leur prétendue efficacité. Les programmes de formation, de valeurs très inégales, se multiplient. Devant une telle abondance d’informations, il est primordial d’effectuer un tri afin de ne pas tomber dans le piège de la facilité, en choisissant ce que nous connaissons au détriment de ce dont le patient a besoin. Nous traitons un patient et pas une zone édentée. Il nous faut proposer un plan de traitement spécifique basé sur une approche globale du cas. C’est sur cette idée que doivent se construire les programmes de formation, afin de remettre le patient au centre du plan de traitement.

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RÉFÉRENCES
1. Brånemark PI, Breine U, Adell R, Hanson BO, Linstroöm J, Ohlsson A. Intraosseous anchorage of dental prosthesis. I. Experimental studies. Scand J Plastic Reconstr Surg 1969, 3: 81-100.
2. Knowledge, aptitudes, and preferences in implant dentistry teaching/training among undergraduate dental students at the University of Barcelona – Published online 2017 Jun
3. Michel ABBOU – Problématique des produits génériques en implantologie – Dynamique dentaire 12 Février 2018
4. MSc Dental Implantology – Bristol University
5. Dental Campus
6. DENTALIMPLANT- eLEARNING.COM
7. WEBDENTAL Formation 2018
8. Péri-implantites : la faute aux implants, aux implanteurs ou aux implantés ? – Colloque SICTMieux 11 Janvier 2018
9. La sinistralité en implantologie repart fortement à la hausse – Info. Dentaire 20 Octobre 2016
10. Michel ABBOU – Le bon sens clinique envers et contre les dogmes institutionnels – Edp Dentaire Dentoscope N°168 Novembre 2016
11. Péri-implantites : la faute aux implants, aux implanteurs ou aux implantés ? – Colloque SICTMieux 11 Janvier 2018


LES INTERVIEWÉS

GAULTIER
Dr Frédérick GAULTIER
MCHU  – Directeur du DU d’implantologie de Paris V

LECONTE
Dr Carole LECONTE
Enseignante aux DU d’implantologie d’Evry, Créteil, Saint-Antoine, Rothschild, au CURAIO (Lyon)

VALENTINI
Dr Pascal VALENTINI
Co-Directeur du DU d’implantologie de Corté et Professeur associé à l’Université de Loma Linda (USA)

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