Réponses d’experts – La minimale invasive attitude – 2/3
Par Laurent BLUCHE, Thomas FORTIN le 02-09-2020Approche mini-invasive dans l’implantologie post-extractionnelle
Je remercie tout d’abord le docteur Michel ABBOU de me permettre de m’exprimer dans sa tribune sur ce sujet qui me tient particulièrement à cœur. L’approche mini-invasive, comme le souligne Michel ABBOU dans son article initial, est usitée par toutes les spécialités de la médecine, puisque l’objectif de la chirurgie micro-invasive est de diminuer au maximum la morbidité per et post opératoire et d’accélérer la cicatrisation. Aussi, la douleur est atténuée de manière substantielle.
En implantologie post-extractionnelle, l’objectif principal recherché consiste à figer une situation initiale, sans remodelage des tissus péri-implantaires, source de dégradations esthétiques et fonctionnelles (les tissus concernés étant l’os alvéolaire et la gencive attachée).
Par ailleurs, lors de la phase de remodelage cicatriciel, les tissus sont susceptibles de réduire en volume et en qualité.
La commercialisation, au cours de ces dernières années, de forets spécifiques (Forets Versah*) modifie la pratique en facilitant la réalisation et la reproductibilité d’actes associés, tels que des soulevés de sinus par voie alvéolaire sans relever de lambeau, ni de fenêtre osseuse. La stabilité implantaire est conservée pendant toute la phase d’ostéo-intégration.
Au travers de trois cas cliniques, nous allons évoquer l’abord micro-invasif de la chirurgie implantaire post-extractionnelle.
1/ Chirurgie classique sans autre acte associé.
2/ Chirurgie avec soulevé de sinus par voie alvéolaire.
3/ Chirurgie avec déficit osseux dû à une lésion parodontale inter-radiculaire.
1/ Chirurgie classique sans autre acte associé
Pour un patient de 40 ans, les 46 et 47 doivent être extraites pour des raisons d’atteinte carieuse. Seule la 46 sera remplacée, étant donné que la 17 doit être également extraite donnant un couple occlusal 16-46.
L’extraction délicate, sans lambeau d’accès, libère le septum inter-radiculaire de la 46. Celui-ci peut alors être condensé et expansé à l’aide de forets Versah (Versah Distribution France Pred) qui tournent en sens inverse des aiguilles d’une montre. L’implant est positionné dans le septum inter-radiculaire et une vis de cicatrisation positionnée (Implant Avantgard GMI). L’ensemble du reste de l’alvéole est greffé avec du b-TCP (Iceberg-GMI). Aucune fermeture n’est réalisée, le caillot s’organisant dans les 12 heures. La zone opératoire est recouverte d’une éponge hémostatique suturée en place. L’épithélialisation, au-dessus de l’alvéole déshabitée, se créera en l’espace d’une huitaine de jours.
Ainsi, aucune perte de gencive attachée n’est à déplorer. Cet abord micro-invasif permet de réduire la douleur post-opératoire et réduit considérablement les changements de volume de la zone opératoire. A quatre mois, une prothèse transvissée est réalisée.
2/ Chirurgie post-extractionnelle avec SSVA (Soulevé de Sinus par Voie Alvéolaire)
Une patiente de 45 ans consulte pour une lésion parodontale importante sur une 26. La dent est très mobile et douloureuse. Une semaine avant l’intervention, de manière systématique dans ce type de cas, un lavage de la poche est réalisé sous anesthésie locale avec de l’H2O2 (30 vol). L’objectif dans cette chirurgie est de pouvoir profiter de la cloison sinusienne en distal donc d’anguler l’implant et de greffer autour.
La dent est extraite délicatement et l’utilisation de forêts de condensation osseuse Versah permet d’accéder à la zone sous sinusienne au niveau du cloisonnement, sans endommager la membrane sinusienne.
Une Xénogreffe (Osteobiol Putty) est positionnée dans le puits de préparation et permet de maintenir la membrane sinusienne soulevée, avant l’insertion de l’implant (GMI Avantgard 4,75 X 10 mm).
Dans cette chirurgie, l’ensemble des gestes est réalisé sans relever de lambeau, ni ouvrir de fenêtre osseuse latérale. Un SSA (Socket Shiel Abutment) est créé avec du composite fluide, autour d’un porte implant. Une fois poli et lustré, ce SSA est réinséré. Il couvrira la totalité de la partie supérieure de l’alvéole déshabitée et protégera la greffe sous-jacente.
3/ Chirurgie avec déficit osseux dû à une lésion parodontale
Une patiente de 54 ans consulte pour une grosse lésion inter-radiculaire non traitable. Elle souffre d’abcès à répétition. Un lavage de l’atteinte de la furcation est réalisé une semaine avant l’intervention, à l’aide d’H202 (30 vol) sous anesthésie locale. Nous disposons, dans ce cas, d’un reliquat de septum qui permet d’obtenir la stabilité primaire nécessaire à l’implant.
La dent est extraite après séparation radiculaire, afin de ne pas endommager le septum. Le protocole Versah de densification osseuse est appliqué, afin de préparer un lit receveur au futur implant, sans aucune autre voie d’accès que l’alvéole déshabitée.
Les forets Versah sont sûrs et permettent une densification et expansion osseuse avec peu de risque de dommages aux tissus environnants. L’implant est inséré et n’est fixé que sur les deux derniers millimètres, pourtant la fixité primaire est telle que l’on peut poser une vis de cicatrisation en même temps.
L’ensemble de l’alvéole est comblé avec une xénogreffe b-TCP et recouvert d’une éponge hémostatique.
Quatre mois plus tard, la partie prothétique transvissée est alors réalisée avec une émergence pour ce cas de type Umbrella (parapluie), préservant le plus grand volume de tissus conjonctif.
Conclusion
Force est de constater par la description de ces cas cliniques, que l’évolution des abords chirurgicaux est de moins en moins invasive. L’aspect micro-invasif des techniques utilisées et le regroupement de plusieurs actes dans une seule séance, diminue la morbidité, le temps d’attente avant la réalisation prothétique et améliore le retour d’expérience des patients. Ces techniques vont de plus en plus se développer avec l’utilisation grandissante des planifications 3D et des guides chirurgico-prothétiques implantaires.
Bibliographie
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Implantologie mini-invasive : plus qu’une tendance, une évolution
L’attitude minimalement invasive s’inscrit dans l’évolution naturelle de toute discipline médicale en générale et chirurgicale en particulier. Elle repose sur un concept selon lequel une technique doit évoluer du lourd au léger, de l’imprécision vers la précision et de l’inconfort vers le confort relatif à la fois pour le patient et pour le praticien. On doit la première mise en application de ce principe à la neurochirurgie qui dès le début du vingtième siècle développe un cadre stéréotaxique. On retrouve l’équivalent en implantologie orale à la fin des années 1980 avec le guide chirurgical. Ces guides totalement manuels ne sont pas assez précis pour permettre la chirurgie minimalement invasive.
C’est quelques années plus tard qu’est publié le détail d’un guide chirurgical utilisant les données numériques du scanner (le CBCT sera présenté à la profession en 1998 lors d’un congrès à Amsterdam) et d’une surface physique (fortin 1993, 1995). C’est la fusion de surface bien connue aujourd’hui sous le nom fusion .stl .dicom. Il est intéressant de noter que ce guide est d’emblée à appuis muqueux et/ou dentaires permettant la mise en application du principe de moindre invasivité. Plusieurs techniques ont ensuite été décrites, d’abord à appuis osseux/dentaires puis muqueux. Ainsi l’attitude mini-invasive ne peut être qualifiée de tendance naturelle mais d’évolution naturelle. Elle est une technique à part entière qui nécessite une formation adaptée. Elle est étroitement liée aux évolutions technologiques mais pas uniquement, comme le montre très bien Michel Abbou. Elle ne saurait ringardiser la technique classique qui a elle aussi ses indications, gestion des tissus mous ou durs, et ses formations associées.
La première attitude mini-invasive s’est faite en dehors de l’évolution technologique. Le passage du lambeau avec incision en fond de vestibule au lambeau avec incision au sommet de la crête. Les suites opératoires ont été considérablement améliorées avec une diminution importante des œdèmes et des hématomes. Le sans-lambeau ou flapless attendra l’arrivée des guides numériques.
La chirurgie sans lambeau présente l’avantage des suites opératoires et de la rapidité des interventions (fortin 2006). Selon certains elle minimise la perte tissulaire péri-implantaire (Rossi 2003). Elle présente un autre avantage, le maintien du périoste sur l’os. Le périoste agit comme une membrane nourricière et physique. Son maintien lors d’une chirurgie sans lambeau permet les techniques d’expansion en évitant les fractures en bois verts et les séquestres osseux qui s’en suivent. Associée aux implants courts et à la précision du geste avec un guide permettant de placer les implants dans les zones osseuses résiduelles ou particulières, paroi antérieure ou postérieure du sinus, courbure palatine du sinus, la chirurgie mini-invasive gère les atrophies sévères sans avoir recours aux greffes, à chaque fois que cela est possible (fortin 2009). Plus récemment des indications esthétiques ont été mise en avant ; c’est l’extraction-implantation immédiate en secteur antérieur pour préserver l’architecture gingivale intacte de toute résorption (Fig. 01 et 02).
Fig. 01 : positionnement idéal de l’implant.
Fig. 02 : mise en place des implants sans élever de lambeau. Une greffe par tunnelisation sera associée dans un second temps.
La chirurgie mini-invasive ne saurait être banalisée. C’est une technique à part entière. Elle repose sur une analyse fine du contexte mucco-gingival, d’une lecture précise des données radiologiques, notamment CBCT, et souvent sur l’utilisation d’un guide numérique. Il faut garder à l’esprit que tous les guides n’ont pas la même précision. Certains ne sont franchement pas précis. La précision est une chaîne qui va de la radiologie à la parfaite adaptation des forets dans les douilles en passant par le positionnement du guide en bouche. Les guides les plus précis sont les guides qui utilisent des marqueurs fiduciaires.
Bibliographie
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Fortin T., Coudert J.L., Sautot P., Lavallee S. Institute of Electrical and Electronics Engineers (engineering in Medicine and Biology), proc., 78003, 0785, pp. 1617-1618, (1993).
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Fortin T., Coudert J.L., Champleboux G., Sautot P., Lavallee S. Journal of Image Guided Surgery 1:53-58 (1995).
• Immediate loading in the maxilla using flapless surgery, implants placed in predetermined positions, and prefabricated provisional restorations: a retrospective 3-year clinical study. Clin.
Rocci A., Martignoni M., Gottlow J. Implant Dent Relat Res 5 (Suppl.): 29–36 (2003).
• Placement of posterior maxillary implants in partially edentulous patients with severe bone deficiency using CAD/CAM guidance to avoid sinus grafting: a clinical report of procedure.
Fortin T., Isidori M., Bouchet H. International Journal for Oral and Maxillofacial Implant 2009; 24: 96-102.
Pour relire le billet d’introduction de Michel Abbou, rendez-vous ici.
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Michel Abbou
– Exercice privé à Paris 75008
– Fondateur et directeur scientifique de SICTmieux depuis 2013.