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Tabac et maladies parodontales

Pathologie Par Olivier REBOUL le 14-01-2007

Le tabac est considéré comme un facteur de risque majeur en parodontologie. Si l’étiologie bactérienne est aujourd’hui établie, la consommation tabagique joue un rôle déterminant dans le développement et l’amplification du processus de destruction tissulaire observé dans les infections parodontales.

Physiopathologie tabagique


La toxicité tabagique est liée non seulement aux modifications physiques de l’environnement bucco-dentaire que cette consommation génère (élévation de la température buccale) mais surtout aux composants chimiques contenus dans la cigarette (goudron, nicotine…).

Si l’un des premiers signes de la consommation tabagique (pour ne pas dire souvent le seul qui inquiète nos patients) est la présence de tâches et de colorations sombres ou noirâtres sur les dents (surtout antérieures), les conséquences au niveau des tissus mous (gingivaux et parodontaux), si elles sont moins spectaculaires, n’en demeurent pas moins beaucoup plus préoccupantes.

Car, les conséquences sur la physiologie gingivale et parodontale sont nombreuses ; vasoconstriction de la micro-circulation gingivale et osseuse, altération des fibroblastes et de la synthèse de collagène…. Les muqueuses du patient fumeur sont comme « asphyxiées » et présentent des modifications histologiques avec notamment des plages de kératoses réactionnelles.
Le parodonte du patient fumeur doit être considéré comme affaibli, fragilisé et de fait, plus vulnérable aux diverses sollicitations et irritations, mécaniques, physico-chimiques et surtout infectieuses.

Cet affaiblissement des propriétés structurelles du parodonte est d’autant plus préjudiciable qu’elle intervient bien souvent dans l’environnement particulièrement septique d’une cavité buccale où réside une hygiène orale amoindrie. En effet, il semblerait que les patients fumeurs présentent des quantités de dépôts bactériens (plaque et /ou tartre supra et infra-gingival) plus abondantes que les non fumeurs (Rota et al. 1999). Cela serait dû, non pas à une modification de la composition salivaire, mais plutôt à un contrôle de plaque moins performant et moins rigoureux.
Au sein de ce biofilm, on observe l’émergence de bactéries agressives anaérobies gram négative (parmi lesquelles P. gingivalis, T. forsythensis…) dont le rôle dans la pathogénie (à la fois le déclenchement et la progression) des maladies parodontales est aujourd’hui unanimement reconnu (Socransky et Haffajee, 1998).

Les mécanismes par lesquels le tabac conduit à la perte d’attache ne sont toutefois pas encore bien maîtrisés. En effet, l’action directe du tabac sur le parodonte ne peut, à elle seule, résumer la complexité de la relation tabac-maladies parodontales ; en effet, il est statistiquement difficile de définir la part propre du tabac dans le développement des destructions tissulaires, tant la consommation tabagique génère de phénomènes « parasites » (cardio-vasculaires, pulmonaires, quantité de plaque augmentée…) qui biaisent et compliquent toute interprétation arythmétique. Aussi, à défaut de chiffres précis, la littérature scientifique estime qu’un patient fumeur aurait entre 2.5 et 7 (voire plus) fois plus de risque de présenter une atteinte parodontale qu’un patient non fumeur (Kinane 2001).

Quoi qu’il en soit, et quelle que soit la nature exacte du rôle, direct ou indirect, du tabac sur le parodonte, nous devons admettre que les patients atteints de parodontites (et tout particulièrement les formes les plus avancées) sont le plus souvent des patients fumeurs (à partir de 10 cigarettes par jour) ou d’anciens fumeurs (Hujoel et al. 2002).
Tabac et maladies parodontales

La forte corrélation qui existe entre la consommation tabagique et le développement des maladies parodontales (Rota et coll. 1999) s’observe essentiellement sur les formes chroniques généralisées. Ces formes présentent un tableau clinique typique associant à la fois une inflammation parodontale, des dépôts bactériens souvent abondants, des pertes d’attache, des poches parodontales profondes (en particulier et essentiellement au niveau palatin ou lingual), des mobilités dentaires, parfois des suppurations, le tout accompagné d’halitose, de sensations de sécheresse buccale, de colorations sombres…

De façon assez paradoxale, le patient fumeur ne présente que peu de signes d’inflammation superficielle gingivale ; la gencive en hypoxie saigne peu en comparaison de l’importance de l’inflammation parodontale et les symptômes classiques de l’inflammation gingivite (œdème, rougeur…) sont le plus souvent absents, masqués par la vasoconstriction nicotinique (Kinane 2001).
La discrétion des symptômes cliniques retarde et minimise la prise de conscience des patients de leurs problèmes parodontaux. Cela conduit le patient à consulter tardivement, une fois l’infection parodontale bien installée et déjà bien évoluée (avec mobilités dentaires, suppurations, récessions gingivales marquées…) ce qui compromet d’autant le taux de succès; dépistage et prévention ont donc un rôle tout particulièrement important chez ces patients fumeurs.
Tabac et thérapeutique parodontale

Les perturbations vasculaires ralentissent considérablement la cicatrisation parodontale après thérapeutique chirurgicale comme non chirurgicale (surfaçage radiculaire), bien qu’il soit, là encore, difficile de donner une valeur « chiffrée » objective. Dès lors que la cinétique, tout comme la qualité, de la cicatrisation parodontale se trouvent affaiblies, il n’est donc pas surprenant que les échecs thérapeutiques et 90% des formes dites réfractaires surviennent chez les patients fumeurs (Johnson & Slach, 2001).

La prudence et la modération sont donc de rigueur chez le patient fumeur, tant dans le pronostic de conservation de dents compromises, que dans celui de la rémission de l’inflammation profonde.. Le patient fumeur, même après de traitement parodontal, hypothèque l’avenir de ses dents et de son parodonte en général (conjonctif gingival, tissu osseux, ligament…).
S’il est bien entendu indispensable de traiter ces patients et de les prendre en charge « parodontalement parlant », il convient surtout de rester prudent, de ne rien promettre en terme de succès et de pronostic de conservation dentaire et conserver cette prudence dans l’approche thérapeutique parodontale.

Ces traitements, en eux-mêmes, devront s’inscrire dans une « politique de sobriété » en limitant au maximum toute intervention « délicate » au pronostic particulièrement aléatoire, hasardeux voire mauvais chez le fumeur : les attitudes de compromis (conservation de certaines dents à pronostic réservé, lésions endo-parodontales avancées, lésions inter-radiculaires profondes, atteintes de furcation, lésions infra-osseuses…) devront laisser place à des attitudes parfois plus radicales.
Les interventions parodontales particulièrement sensibles aux fluctuations de la vascularisation (en particulier, la chirurgie muco-gingivale, les comblements osseux, les thérapeutiques régénératrices par RTG ou par dérivés de protéines amélaires…), devront être évitées chez les patients fumeurs, compte tenu de leur fort taux d’échec dans ce contexte tabagique (Preber et Bergström, 1990).

Enfin, dans le cadre de programme de maintenance parodontale, même après un traitement d’assainissement bien mené, il conviendra de redoubler de rigueur et de vigilance en terme de contrôle de plaque chez ces patients exposés, au parodonte fragilisé, en insistant sur l’importance d’une hygiène bucco-dentaire performante.

Conclusion

Compte tenu du véritable « handicap » que constitue le tabac pour la santé et la cicatrisation bucco-dentaire en général et parodontale en particulier, l’intérêt du sevrage tabagique prend toute son importance. Dès lors qu’il est difficile de définir un nombre-seuil de cigarettes en dessous duquel la consommation tabagique serait inoffensive, Kinane (2001) estime que l’arrêt de toute consommation tabagique doit être recherchée pour restaurer de bonnes conditions de physiologie parodontale. Johnson rappelle que l’Académie américaine de parodontologie (AAP) intègre le sevrage tabagique comme partie intégrante du plan de traitement parodontal et encourage les chirurgiens-dentistes.


Bibliographie

Bergström J. « Tobacco smoking and chronic destructive periodontal disease » Odontology 2004 ; 92(1) : 1-8.

Johnson GK, Slach NA. « Impact of tobacco use on periodontal status » J Dent Educ 2001 ; 65(4) : 313-21.

Johnson GK, Hill M. « Cigarette smoking and the periodontal patient » J Periodontol 2004 ; 75(2) : 196-209.

Kinane F. « Causation and pathogenesis of periodontal disease » Perio 2000, vol 25, 2001 ; 8-20.

Preber H et Bergström J. « Effect of cigarette smoking on periodontal healing following surgical therapy » J Clin Periodontol 1990 ; 17 : 324-328.

Rota MT, Poggi P, Baratta L, Gaeta E, Boratto R, Tazzi A. « Tobacco smoke in the development therapy of periodontal disease : progression and questions » Bull Group Int Rech Sci Stomatol Odontol 1999 ; 41(4) : 116-22.

Socransky S, Haffajee A. « Relationship of subgingival microbial complexes to clinical features at the sampled sites » J Clin Perio 1998 ; 15 : 440-444.

Taybos G « Oral changes associated with tobacco use » Am J Med Sci 2003 ; 326(4) : 179-82.

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