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Connecter implants et dents naturelles ?

Par Michel ABBOU le 07-02-2017
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Pas facile de répondre à cette problématique en quelques phrases; encore moins de prôner un avis tranché et définitif dans l’absolu… Si l’on prend en considération la diversité des situations cliniques d’une part et l’ensemble des données de la littérature scientifique d’autre part.
Ce billet reprend l’un des volets d’un article clinique publié dans le DENTOSCOPE (1) en novembre 2016. Cette publication m’avait été commandée par le rédac-chef de cette revue professionnelle (Paul AZOULAY) qui avait assisté à ma conférence du mois de juin, sous l’égide de Si-Ct Mieux (2). Selon ses propres mots, Paul s’était ému de l’aspect peu conventionnel de ma présentation au cours de laquelle j’avais entrepris de « casser certains dogmes professionnels », démonstrations cliniques à l’appui.

Ma position sur les connexions entre implants et dents naturelles se résume ainsi dans les 5 assertions ci-dessous :

OUI, j’ai régulièrement recours aux restaurations prothétiques fixes dento-implanto-portées;
OUI, je n’y ai recours qu’en seconde intention, quand il s’avère délicat ou impossible de procéder à des reconstructions indépendantes sur dents et implants;
OUI, dans de nombreux cas (et non dans tous les cas), la conjugaison de ces 2 formes de supports prothétiques (en connexion rigide) présente un intérêt clinique supérieur aux autres options thérapeutiques (3, 4, 5);
OUI, j’affirme ne rencontrer pas plus de déboires avec ces constructions mixtes qu’avec les autres, mais je dois reconnaître que leurs mises en œuvre (et la maintenance) requièrent plus de réflexion et de précautions que pour des réhabilitations corpus separatum;
OUI, les questions qui doivent être soulevées dans le cadre de ces reconstitutions sont :
– Les mêmes qu’en 1995, date de publication de ma première étude sur le sujet (3);
– Les mêmes qu’en 2007, telles que je les exposais en séance plénière à l’ADF, invité par Christine ROMAGNA, présidente de la séance « Stabilité dentaire et occlusale en parodontologie »;
– Les mêmes qu’en 2010 quand je démontrais la fiabilité de ces connexions dans le cadre du congrès annuel SAPO IMPLANTS, invité par Bernard CANNAS.
Et j’y réponds aujourd’hui quasiment de la même façon (Fig. 1 & 2)… Avec l’expérience et le recul clinique en plus, qui me confortent dans cette approche pragmatique au demeurant encore peu consensuelle.

« La connaissance s’acquiert par l’expérience, tout le reste n’est que de l’information » A. Einstein

Enfin, alors qu’il reste de bon ton d’évoquer avec scepticisme la problématique générée par les connexions implants-dents naturelles en prothèse fixe, je voudrais terminer cet article en fustigeant – avec une ironie non dissimulée – l’importance accordée à la formation et l’information délivrées par nos nobles sociétés et associations scientifiques en matière de prothèses amovibles (avec ou sans implants) instaurant une forme de « données acquises de la science » pour ce type de restaurations. La journée de formation du 13 Octobre 2011 organisée par la SOP (6) était consacrée à la prothèse amovible partielle. Les trois conférenciers au programme y ont détaillé des raisonnements cliniques justifiant les facteurs et autres attachements favorisant le bon mariage entre dents naturelles, implants et prothèses amovibles. Le synopsis de cette journée était formulé comme suit : La prothèse amovible partielle (PAP) associée à des éléments de prothèse fixée répond à de nombreuses indications d’édentements. Avec l’allongement de la durée de vie, cette thérapeutique, loin d’être en recul par rapport à l’implantologie, devrait se développer pour répondre aux besoins des patients de tout âge. De fait, la prothèse mixte s’est enrichie de l’apport de tous types d’attaches et de l’implantologie. Plus que jamais l’omnipraticien, architecte du traitement, se doit d’en maîtriser la conception et la mise en œuvre.
Je me permets de compléter ici cette considération « de bon ton » en rappelant que, lorsqu’il s’agit de remplacer des dents manquantes, le praticien se doit de connaître (et faire savoir à ses patients !) le gradient de complications et d’échecs qui est statistiquement défavorable aux prothèses conventionnelles comparées aux prothèses sur implants d’une part; défavorable aussi pour les prothèses partielles amovibles implanto-stabilisées comparées aux prothèses fixes sur implants (incluant les prothèses fixes dento-implanto connectées de façon rigide) d’autre part. Ces éléments sont soutenus et étayés par 2 revues de littérature publiées en 2009 (7, 8). Il convient aussi de mentionner que, à rigueur égale de réalisation, tous les types de prothèses dentaires et implantaires présentent des risques de complications et d’échecs… Avec quelques nuances statistiques intéressantes (8) :
Les prothèses amovibles (avec et sans supports implantaires) ne produisent pas moins de déboires que les prothèses fixes. Nonobstant un plus faible taux de complications avec les attachements à type de barres qu’avec les attachement-boules, l’occurrence de ces problèmes et échecs a tendance à augmenter statistiquement avec le temps;
Les prothèses fixes (avec ou sans incorporation de piliers implantaires) sont susceptibles de présenter des incidents de parcours essentiellement dans les deux années suivant leur mise en place, statistiquement plus fréquemment en ce qui concerne les zones postérieures maxillaires… Mais ces complications n’ont guère tendance à augmenter avec le temps, contrairement aux prothèses amovibles.

« La connaissance est une navigation dans un océan d’incertitudes à travers des archipels de certitudes » E. Morin

ILLUSTRATIONS CLINIQUES & RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

1
Fig. 1 : Dans le cadre de la réhabilitation complète maxillaire chez cette patiente de 70 ans en 2004, la connexion 16-17 ne se justifiait pas, contrairement à celle préconisée pour 26-27 afin d’éviter la distalisation potentielle de la 27 (résultante horizontale récurrente des pressions masticatoires transmises à un support maxillaire qui a tendance à s’appauvrir en qualité et en quantité avec le temps). Douze ans plus tard (et 2 cancers opérés), la patiente présente toujours la même configuration bucco-dentaire, efficace et confortable.

2
Fig. 2 : Les risques de complications et d’échecs en prothèse fixe mixte dents-implants existent et sont bien répertoriés, mais ils ne sont ni plus nombreux ni moins maîtrisables que ceux occasionnés par nos prothèses conventionnelles et nos prothèses amovibles stabilisées sur implants (3-7-8-9). Quant au fameux risque d’intrusion ou d’ankylose évoqué dans la littérature spécialisée, il ne concerne statistiquement que les constructions prothétiques incorporant des connexions non rigides que nous proscrivons depuis 1995 (3-4).

FicheAuteur

Michel Abbou
– Membre de l’Association Française d’Implantologie
– Fondateur et directeur scientifique de SICTmieux depuis 2013.

Ses formations

ARTICLES DE RÉFÉRENCE :

1. ABBOU M : Le bon sens clinique envers et contre les dogmes institutionnels.
Dentoscope n° 168, Nov 2016 ; 12-26 – éditions EdP dentaire

2. ABBOU M, BONNER M, CARON G, TORDJMANN N, LASFARGUES JJ : Faut-il traiter et conserver ou extraire et remplacer?
https://sictmieux.com/index.php/1-journee-1-question-02062016/

3. ABBOU M, CHICHE F, PICARD B, MISSIKA P : Connexité prothétique entre implants et dents naturelles. Approche clinique, étude bibliographique et prospective.
Les Cahiers de Proth., 1995 Sept; 91 : 57-68

4. GENON P, GENON-ROMAGNA Ch : L’apport des implants dans le traitement des parodontites avancées. Comment les implants peuvent contribuer à améliorer le pronostic des dentures à parodonte réduit.
J. Parodontol. Implantol. Orale., 1997; 16 (2) : 177-189

5. GUNNE J, ASTRAND P, AHLEN K, BORG K, OLLSON M : Implants in partially edentulous patients. A longitudinal study of bridges supported by both implants and natural teeth.
Clin. Oral Implants Res. 1992, Jun; 2 : 49-56

6. TADDEI C, BEJIN M, MONSENEGO P : La prothèse amovible partielle – Tout sur les nouvelles connexions
SOP, Conférence 13 Octobre 2011 ; Paris- France

7. ELIASZEWICZ-WAJNSZTOK S, TABERNIER B : Analyse des taux de survie et complications des différentes solutions prothétiques : revue de littérature
Rev. Odontostomatol., 2009 ; 38: 187-207

8. GROSSMANN Y, NISSAN J : Clinical Effectiveness of Implant-Supported Partial Dentures – A Review of the Literature and Retrospective Case Evaluation
Am. Assoc. Oral Maxillofac. Sugeons, Sept 2009; 67 (9): 1941-1946

9. NEDIR R, BISCHOF M, SZMUKLER-MONCLER S, BELSER U, SAMSON J : Prosthetic complications with Dental Implants: from an Up-to-8 year Experience in Private Practice
Int. Journal Oral and Maxillofac. Implants, 2006; 21 (6): 919-928

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2 commentaires au sujet de “Connecter implants et dents naturelles ?

  1. Michel ABBOU.

    Où sont passés (trépassés?) les dentistes orthodoxes et autres professeurs bien-pensants de la vieille école?
    Voilà que je produis un article en ligne sur les connexions dents-implants – sujet épineux et polémique s’il en est – qui recueille plus de 4300 vues en quelques jours sur Dental Espace… Pour ne recevoir que des compliments à l’instar des 2 commentaires rapportés ci-dessous.

    – Dr Jean François CARLIER
    Ex-Assistant à l’UFR de Reims
    Pdt Collège National d’Occlusodontologie

    Cher ami,
    j’ai lu avec un immense plaisir votre post et vous remercie de cette réflexion. J’enseigne depuis plus de 10 ans, l’intérêt occlusal et prothétique, de relier implants et dents naturelles, en dépit des allégations de la littérature, manifestement rarement issue d’auteurs cliniciens. Le congrès CNO 2003 sur le sujet m’a engagé sur cette pratique et, comme vous, je n’hésite pas à relier une dent parodontosique à un implant pour stabiliser la position mandibulaire, voire en assurer le guidage mandibulaire. Je n’ai eu qu’à m’en réjouir.
    Cordialement.

    – Dr Meyer BENZECRIT
    Chirurgien-Dentiste à Orange

    Cher confrère
    Merci pour votre article, excellent.
    Merci pour cette honnêteté.
    Comme vous j’ai cette démarche (connexion dent/ implant) depuis plus de 20 ans avec les mêmes constatations.
    Très bonne journée et amitiés confraternelles sous le soleil de Provence

    Décidément, le monde change… Et ce n’est pas toujours dans le mauvais sens!
    Nous verrons bien ce qu’en diront prochainement les 3 experts sollicités par Dental Espace.

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